Chapitre 14 : La main blanche

96 8 0
                                    

Plongée au cœur de l'hiver, Aust avait revêtu la blancheur du pelage d'une hermine.

Aux quelques flocons tombés lors de la bataille s'était ajoutée une épaisse couche de neige, qui allait jusqu'à recouvrir toute la surface du lac. Sous son manteau immaculé, la forêt semblait plongée dans un sommeil plus profond que la mort.

Dans la ville, au contraire, on vivotait. Les soupes populaires se multipliaient dans les rues. On reconstruisait avec acharnement, des portes éventrées aux édifices ravagés par les affrontements. Depuis la bataille d'Aust, on pansait les plaies, essuyait les pleurs, et le monde se remettait doucement à tourner.

Maladroitement, un jeune homme sortit du centre hospitalier. Le bras en écharpe, Kale fit un premier pas dans la neige. Il se tint un instant sur le seuil, les membres tremblants, une main contre son ventre bandé. L'air frais de l'hiver fouetta la pâleur de son visage. Il se sentit suffoquer. Kale ferma les yeux, le cœur battant, luttant contre les secousses qui lui ébranlaient le corps. Il se força à inspirer profondément, laissant l'oxygène détendre chacun de ses muscles. La peur déserta peu à peu son esprit et il parvint à rester immobile, à ne pas faire demi-tour. Rassuré par ce progrès, il se mit à marcher doucement en direction des quartiers militaires.

Il aperçut la silhouette trapue de Callisto remonter la rue, attelée à une charrette. Elle n'était pas celui qu'il cherchait, et pourtant, son cœur se réchauffa peu à peu. Elle faisait partie des chanceux, ceux qui avaient réchappé de la bataille avec quelques égratignures seulement. Ainsi, elle était restée le plus longtemps au chevet de Kale pendant sa convalescence. Il vint à sa rencontre aussi vite que ses bandages le lui permirent.

« Calli ! »

Elle s'arrêta, évitant pourtant de croiser son regard. Kale ne doutait pas de son moral d'acier. Elle était capable de rire d'un drame, et encore aujourd'hui, elle était attelée à ses besognes.

Pourtant, il la trouva ce jour-là étrangement silencieuse.

« Je cherche Aaron, ajouta-t-il en haletant sous l'effort. Tu sais où il est ? »

Sa queue en pinceau retomba mollement sur ses postérieurs. Ses yeux roulèrent vers le sol, oreilles basses.

« Kale, il y a... »

Elle laissa sa phrase couler dans la brise, les lèvres entrouvertes. Un long silence plana, puis elle déclara abruptement :

« Il est dans la pièce à l'arrière de l'entrepôt. »

Il sentit qu'elle en suggérait bien plus. Mais la voyant repartir, Kale préféra ne pas insister. Il claudiqua jusqu'au quartier des bûcherons, là où s'entassaient les fours et les hangars à bois, réutilisés exceptionnellement pour accueillir quelques lits de blessés. Sa convalescence l'avait affaibli, ses peurs l'obligeant à garder le lit des jours durant. Aussi, c'est à bout de souffle et le ventre au supplice qu'il débarqua devant l'entrepôt.

Mais il n'eut pas besoin d'entrer dans le bâtiment de briques et de taules pour qu'un affreux pressentiment s'empare de son cœur.

Il trouva, prostré sous le porche, recroquevillé dans son manteau et la tête enfouie dans ses bras, Priam. Il était si discret et immobile qu'il le crut d'abord endormi. Mais à la contraction de ses doigts, il comprit qu'il était non seulement bien réveillé, mais aussi rongé par ses émotions. Priam dut l'entendre poser un pied sur le perron, car il sortit sa tête de ses bras dans un sursaut et leva ses yeux clairs.

Le visage de Kale se décomposa : les paupières de Priam étaient rouges et ses joues, luisantes. Il le regarda frotter ses yeux de sa manche et vaciller en se relevant. Comme Callisto, Priam se détourna sans rien ajouter.

Legend of Shapeshifters (T3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant