Chapitre 38 : Les cicatrices

63 6 4
                                    

La caverne éclata dans un tumulte. On poussa les prisonniers jusqu'à la sortie, et tandis que les uns hurlaient leur mécontentement, les autres scandaient leur assentiment. Dans l'esprit de Kale, tout sembla s'éteindre. Ses yeux se brouillèrent, fixés sur ses doigts crispés contre ses genoux.

Avec cette seule décision, Aaron venait de faire voler en éclat les idéaux pour lesquels ils s'étaient battus. La sentence était méritée, c'était irréfutable, mais l'appliquer revenait à se placer au-dessus du monde, s'octroyer la place qu'avait revendiquée les puristes en décidant de l'éradication des non-purs.

Mais plus encore, Aaron avait clamé sa justice seul. Pas un regard n'avait été accordé à l'assemblée. Il avait choisi lui-même l'issue de ce jugement, n'avait accepté aucune remise en question.

Ce fut lorsqu'Aaron quitta la tribune que Kale reprit conscience. Dans un sursaut, il se releva et agrippa la manche de son ami, le forçant à s'arrêter. Sur les battements de son cœur, il planta son regard dans le sien.

« A quoi tu joues, Aaron ? »

Les ombres sur son visage pâle ne lui appartenaient pas. Il toisa Kale avec une neutralité feinte, et presque doucereux, répondit :

« Aucune sentence n'est à la hauteur de leur crime.

- Et aucune n'est assez infâme pour être prononcée, c'est ça ? »

Aaron baissa les yeux vers lui. L'éclat de noirceur qui gonflait sa silhouette aurait dû faire reculer Kale. Et pourtant, il se redressa et ses doigts se serrèrent autour du bras de l'Hybride Blanc lorsque celui-ci poursuivit :

« Aussi sale que cela puisse te paraître, je ne peux pas laisser deux criminels de guerre dans la nature.

- Je ne veux pas les libérer, éclata Kale. Je veux qu'ils paient, mais pas comme ça. Regarde-toi, Aaron, ce n'est pas toi ! Ce n'est pas ce que tu défends depuis une année entière ! Où est passé l'ami que j'ai rencontré à Aust ? Celui qui préférait recevoir des coups plutôt qu'en donner ?

- C'est la seule justice possible. » Trancha une voix.

Lyanna était apparue face à lui. La haine dansait dans ses yeux. Elle s'opposait à lui, à sa volonté de ramener Aaron à la raison, car la sienne l'avait désertée. La mâchoire de Kale se crispa. Il se tenait face à deux murs.

« Et décider seul, c'est assez juste selon toi ? » Ne put-il s'empêcher de railler.

Le regard de Lyanna s'embrasa. Quant à Aaron, son visage se froissa dans la colère. Mais Kale était hors de lui.

« Maintenant quoi ? Tu vas profiter de ta récente prise de pouvoir ? Supprimer tes opposants et mener tes décisions comme tu l'entends ? Je vois que Rainyd est une belle inspiration. »

Le dénommé n'eut pas le temps de se défendre. Lyanna avait fait un pas vers Kale, brûlante d'une rage froide.

« La décision ne te revient pas, Kale. Tu n'as perdu personne pendant cette guerre. Mais si tu veux qu'on décide ensemble, très bien : je vote pour que ces deux fils de pute crèvent. C'est assez démocratique pour toi ? »

Touché en plein cœur, Kale recula d'un pas. Les traits de Lyanna se détendirent en une mine suffisante. Il sentit son sang se figer lorsqu'elle ajouta :

« Tu veux qu'on demande à Callisto ? Elle sera de mon avis. Je ne te laisserai pas me retirer le droit de me venger comme tu l'as fait pour elle en tuant Salomon. Tu l'as empêchée d'avoir les noms des meurtriers de sa famille. Ils méritent de payer pour tout ce massacre. »

Kale resta immobile. Il dévisagea tour à tour les deux visages qui lui faisaient face. Il ne reconnaissait aucun de leurs traits. Ces deux silhouettes, pétries de chagrin et de rancœur, n'étaient pas celles de ses amis.

Legend of Shapeshifters (T3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant