La cuvette redevenait peu à peu la pinède qu'elle était avant-guerre. Avec la chute des tentes volaient les aiguilles de pin qui recouvriraient bientôt le sol boueux du dernier camp de la rébellion. La faune y retrouverait ses droits, s'épanouirait pour le printemps clément à venir. Une dizaine de jours s'était écoulée depuis l'exécution des deux derniers puristes. La guerre était enfin finie.
Les Ragnokiens regagnaient la ville, s'efforçaient de s'approprier de nouveau ces rues qui avaient connu la misère et la famine. Ragnok devait retrouver ses couleurs. Quant aux autres, venus des quatre coins du territoire, il était temps de tourner la page.
Kale s'évada de sa tente, inspirant une grande bouffée de l'air montagnard. Il déposa son sac à ses pieds. Toutes ses possessions ne tenaient plus que dans ce simple paquetage. Sur le dos du sac était sanglée son épée, celle-là même qu'il avait emportée de Venatio, qui avait abattu le coyote Salomon pour protéger Aaron. Celle-là même qui avait vaincue la dernière générale puriste. Il était libéré de son poids, de son ombre pesant à sa ceinture, et ce pour le plus longtemps possible. Il l'espérait sincèrement.
Kale s'autorisa une dernière fois à admirer la cime des arbres. Il aurait aimé connaître Ragnok sous un autre jour, mais il était désormais temps de regagner la tranquillité de l'océan. Il pouvait à présent délaisser son insigne de capitaine, retrouver la paix de l'anonymat. Dans cette tente qu'il referma derrière lui, il laissait ses angoisses, ses peines et ses cauchemars qui l'avaient accompagné une année durant.
Il traversa le camp au milieu du ballet incessant des charrettes qu'on chargeait, des toiles qu'on pliait, des armes qu'on rassemblait. Aaron discutait avec le capitaine Argus, en charge de la répartition du matériel dans les différentes villes. L'égérie avait perdu de sa splendeur. Depuis son revirement, beaucoup l'évitaient, ne lui accordaient plus la même ferveur qu'auparavant. Oméga en revanche, avait réussi à redorer son image. Kale s'arrêta un instant et lorsqu'Aaron croisa son regard, il lui sourit.
Peu après l'exécution, Callisto avait attrapé chacun de ses compagnons et les avaient forcés à s'asseoir tous ensemble, face à face. Furieuse, elle avait ordonné à tous de s'expliquer. Il n'avait pas fallu attendre bien longtemps pour qu'à grands coups de larmes et d'excuses, leurs différends soient oubliés. Le renoncement d'Aaron devant la potence l'avait peut-être desservi en tant qu'égérie, mais il avait comblé la brèche qui s'était formée entre ses amis. Les quatre compagnons repartaient à Varkens, ensemble, lavés de toute rancœur.
Kale reprit sa route, le cœur plus léger. Des éclats de voix guidèrent alors ses pas.
« Mais si, je peux porter ça toute seule ! J'suis pas une empotée ! »
Kale se mordit les lèvres pour ne pas rire. Nul besoin d'images, il avait reconnu la voix de Callisto qui grondait au travers de la tente de l'hôpital.
« Oui mais, tu... Enfin dans ton état... Ce serait plus sage d'utiliser une charrette. » Bredouillait Priam.
Kale s'éloigna avant de se sentir obligé d'intervenir. Son chemin s'arrêta devant la tente de Lyanna. Ce n'était plus qu'un ramassis de piquets et de toiles étendu sur le sol. Son sac trônait au milieu de ce carnage mais aucun signe de la jeune femme. Le visage d'Alphonse émergea d'une tente voisine. Son sourire avait retrouvé de l'éclat.
« Elle est partie vers la forêt, lâcha-t-il. Dire adieu à la fille aigrie qui l'a remplacée. »
Kale laissa échapper un soupir amusé. Remerciant Alphonse d'un signe de main, il prit le chemin des patrouilles.
Le soleil poursuivait encore sa course ascendante, parant la forêt de reflets dorés. Face au vide se découpa la silhouette qu'il cherchait. Kale s'approcha doucement. Lorsqu'une branche craqua sous ses pas, Lyanna sursauta. Elle pivota, les muscles bandés, résidus de ces mois passés sur le champ de bataille. Lorsqu'elle croisa son regard, son visage s'apaisa, gagné peu à peu par un malaise hésitant. Guidé par la même émotion, il tenta :
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Legend of Shapeshifters (T3)
AventureDécret de l'automne 53, Ewilem : " Article 1 : Tout individu de race non-pure, mâle, femelle et enfant, a pour obligation de se déclarer à la Milice ewilemienne et de se rendre dans le quartier de l'Est où la résidence lui est réservée. Article 2 :...