Chapitre 6 : Le sang des invaincus

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D'abord un son. Des cliquetis métalliques, le déchirement de la peau, une conversation. Puis la vue. La blancheur d'une toile tendue, l'incandescence d'une lanterne, des visages inconnus. Et enfin la douleur. Une souffrance si intense qu'elle évinça toutes les autres sensations.

Un cri s'échappa de sa gorge, si abominable qu'il lui souleva le cœur. Kale voulut se débattre mais ses membres restèrent figés. Attachés. On lui avait entravé les bras et les jambes, serrés avec force contre le bois d'une table. Ses pupilles se dilatèrent de terreur. Brusquement, plusieurs éléments lui percutèrent l'esprit. Des silhouettes gravitaient autour de lui, penchées au-dessus de son ventre. Cette prise de conscience le transperça jusqu'à la moëlle. Il ne parvenait pas à hurler, les supplier d'arrêter. Il n'avait plus conscience de rien. Le temps perdit sa mesure et il sombra dans l'inconscience.

Combien de temps avait-il vogué à la frontière de l'éveil ? Kale reprenait peu à peu conscience de son corps, agité de fourmillements. Son souffle lui brûlait la gorge et l'adrénaline l'empêchait de sombrer à nouveau. Il tâchait de réfléchir, percer le mystère de sa situation. Il était seul, toujours entravé, mais le ventre bandé et ses plaies pansées.

Soudain, une discussion lointaine lui parvint.

«... Il est hors de danger, je vous l'assure.

- Bien. Sera-t-il suffisamment résistant ? Je doute qu'il coopère avec facilité.

- Oui. Mais ne touchez pas à ses lésions. »

Brusquement, le mystère s'éclaircit et ses souvenirs lui revinrent. L'attaque. Le combat. La chute. Il était pris. Son cœur tambourina contre sa poitrine. Quoi qu'il puisse advenir dans les secondes à suivre, il ne devait pas céder à la panique.

Les pans de la tente s'ouvrirent et une femme entra. Elle lui accorda un sourire poli et tira un tabouret pour s'asseoir non loin de lui.

« Bonjour Kale, comment vous sentez-vous ? »

Tâchant de garder son calme, le prisonnier lâcha d'une voix égale.

« Que me voulez-vous ?

- Étrange façon de remercier ses sauveurs. » Fit la femme avec un regard amusé.

Kale déglutit. Il devait analyser, ruser pour essayer de s'en sortir à moindre mal.

« Vous devez certainement attendre quelque chose en retour.

- Tout juste. J'espérais qu'en bon échange équivalent, vous consentiriez à répondre à quelques questions. »

Kale resta muet.

« Je vais être directe, reprit-elle. Je veux les noms et formes des têtes de la rébellion, ainsi que ceux des espions qui grouillent à Ewilem.

- Je ne sais rien. » Répondit aussitôt Kale sèchement.

La rage apporta l'effronterie dans son regard. Il était diminué, entravé, et pourtant, jamais il ne pourrait se résoudre à parler. Un rictus d'ironie teinta son visage trempé de sueur. Ses années à se détester lui avaient appris une chose : il était capable de s'infliger la pire des souffrances. Alors, il pouvait endurer celle-ci pour sauver ceux qu'il aimait.

La femme secoua la tête et se leva de son tabouret.

« C'est dommage, lâcha-t-elle, lasse. Nous aurions pu collaborer. Je vous aurais laissé le choix. »

Aussitôt, le monde s'assombrit. Cette fois-ci, il ne s'était pas évanoui. Sa tête venait d'être recouverte d'un sac en tissu. Il s'agita, ne devinant que trop bien la suite. Avant qu'il ne puisse hurler, on déversa une gerbe d'eau sur son visage.

Legend of Shapeshifters (T3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant