En un battement de cils, toutes leurs certitudes s'étaient effondrées.
« CALLISTO BAISSE-TOI ! »
En un battement de cils, les flèches avaient commencé à pleuvoir.
« TENEZ-VOUS PRÊTS ! AUX ARMES ! »
En un battement de cils, tout espoir d'issue pacifique fut anéanti.
Dans un tourbillon de tissus, Aaron avait fait volte-face, suivant Oméga lancé au galop jusqu'aux troupes embusquées dans les bois. Agrippé à la manche de Callisto pour qu'elle reste avec lui, il fut cependant contraint de la lâcher lorsqu'elle glissa au milieu des flèches fichées dans la boue. Numa avait quitté les lieux sur le champ pour rejoindre ses troupes en marche pour leur dernière bataille.
Jamais Callisto n'avait vu plus terrible pagaille. Les doigts arqués contre les chaînes du prisonnier, elle fut témoin du déferlement des soldats dans la pente, devant les murs-mêmes de Ragnok. Ce fut une effusion d'impacts violents et de cris de rage. Elles voyait les corps se jeter les uns contre les autres, les fauves et canidés faire claquer leurs mâchoires, les lames battre les premiers morceaux de chair. Elle en fut si choquée que l'espace d'un instant, elle ne put bouger.
Toute cette lassitude, cet épuisement, ce désespoir accumulé en un hiver s'était mué en une bestialité dévorante et insensée.
Callisto se secoua. Dans un grondement rageur, elle dégaina son glaive et se releva maladroitement. Elle prit conscience qu'elle était entravée par les liens d'Alastor, qu'elle persistait à tenir fermement dans son poing. Le vieillard lui-même s'était effondré dans la boue, et il aurait presque pu lui faire pitié si elle ne le méprisait pas à ce point. Elle jeta les chaînes loin d'elle. Elle allait le laisser derrière, quand une apparition la figea sur place.
Alastor n'était plus là. A sa place se trouvait désormais un énorme grizzly au poil grisonnant, déchirant ses liens de cuir comme s'ils étaient faits de papier.
***
Le monde avait perdu tout repère, secoué par un chaos à l'odeur du sang et au toucher d'épines. Dans ce tumulte informe, ne subsistait plus que la rage dévorante qui se heurtait contre une apathie martiale.
Lorsque son épée déchira le torse d'un soldat, Kale ne cilla pas.
Son corps s'était dissocié de son esprit, multipliant les assauts, mu seulement par la haine et la rancœur. Il pivota brusquement, le visage fermé, brandissant sa lame au-dessus de sa tête. Lorsqu'il acheva son mouvement, le craquement abject de la chair déchirée gonfla le chaos ambiant.
Une maîtrise sinistre guidait ses pas, lui frayait un chemin à travers ses adversaires. Le sang coulait autour de lui, et pourtant, jamais il ne se sentit plus froid et détaché. Sa technique s'aiguisait, son esprit s'affutait, alimenté par ces vagues abominables de terreur et d'injustice qui lui ébranlaient les entrailles. Il ne s'arrêtait plus d'avancer, enchaînant les prises avec une indifférence effroyable.
Dans un sursaut de dégoût, il réalisa que c'était le mécanisme qui l'avait fait survivre dans l'arène. Doucement, il glissait vers ce qu'il avait toujours fui, détesté. La morale n'avait pas sa place dans ce champ de bataille, créé par l'orgueil et l'aversion. Alors à quoi bon ? A quoi bon ces tentatives de rédemption ? A quoi bon ces sursauts d'espoir, de vie ? L'abjection le guetterait toujours.
A bras ouverts, Kale accueillit ce qu'il ne cessait de repousser depuis des années. La familiarité du détachement qui guidait ses mouvements fit naître un sourire sur son visage. Son savoir létal lui parut apaisant. Ses dernières réserves cédèrent, et tous les enseignements de Venatio lui revinrent en mémoire. N'avait-il jamais été doué pour rien d'autre ? On l'avait élevé pour tuer.
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Legend of Shapeshifters (T3)
AdventureDécret de l'automne 53, Ewilem : " Article 1 : Tout individu de race non-pure, mâle, femelle et enfant, a pour obligation de se déclarer à la Milice ewilemienne et de se rendre dans le quartier de l'Est où la résidence lui est réservée. Article 2 :...