Chapitre 4 : Perdre la tête

80 9 0
                                    

Pendant trois jours et trois nuits, les festivités battirent leur plein. Ce furent des heures entières de danse, de beuverie et de lâcher prise ininterrompues. On perdit toute notion du temps, accueillant le cycle du soleil et de la lune comme dans un rêve. Au bout de la troisième journée, sous la lumière des braseros qui réchauffaient l'assemblée, deux musiciens s'égosillaient sur scène.

« Pac'qu'on l'a foutu dehoooors !

- Bolvadoooor !

- Ta mère la pécooore ! »

Alphonse, guitare à la main, et Callisto, un clave dans l'une et une flûte dans l'autre, hurlaient cette chanson qu'ils avaient composée la veille au soir. Alphonse fit grincer les cordes de son instrument et Callisto frappa les siens l'un contre l'autre. Un regard suffit à les faire éclater d'un rire gras. Soudain, les épaules basses, les cheveux en bataille et les yeux rougis de fatigue, une silhouette se posta devant l'estrade.

« Ce sera demain.

- Quoi ? Fit Kale, la voix éraillée, affalé sur la scène et visiblement peu maître de ses moyens.

- Les élections pour le Conseil se feront demain ! » Répéta Aaron haut et fort.

Une clameur retentit dans la foule en fête, sûrement trop alcoolisée pour saisir la raison de leur triomphe. Les deux illustres artistes frappèrent sur leurs instruments en guise d'applaudissements. Le mot fut transmis dans toute la ville et ne s'arrêta pas aux frontières des consommateurs de sève. Ce soir-là, on se mit alors à fêter l'organisation des élections austiennes.

Les poings sur les hanches, Aaron observait tout ce charivari, à la fois amusé et exaspéré. Il finit par prendre la tangente lorsque Kale et Callisto essayèrent de l'attirer sur scène. Il se réfugia du côté de Lyanna, sobre heureusement. 

« Bah ! Laissons-les s'amuser, tant qu'ils le peuvent. »

Assise sur une table, elle avait le sourire aux lèvres, se délectant de leurs idées absurdes après des semaines à préparer les affrontements. Aaron acquiesça, se laissant tomber sur une chaise, les jambes coupées. Pendant que ses amis vidaient les réserves de sève de la ville, lui avait passé la journée enfermé dans la salle du Conseil à réfléchir à l'avenir. 

Il laissa d'abord son regard se perdre avec paresse dans la foule. Mais lorsqu'un visage pâle et creusé lui apparut au milieu de toutes ces têtes, il frissonna et se retourna sur son banc, le front baissé. Surprise, Lyanna jeta un coup d'œil derrière son épaule, puis soupira. 

« Ça ne te rassure pas de savoir qu'elle va bien, même après la prise de la ville ? » Lui dit-elle.

Perdue parmi les convives, Ophélia avait croisé le regard de son fils. Elle s'était redressée sur son banc, tenta des signes de main avortés, puis se renferma sur elle-même. Durant ces trois lunes, les quatre amis avaient inévitablement recroisé cette femme discrète. Aaron avait toujours refusé de lui adresser la parole, au départ par colère. Mais son aversion s'était petit-à-petit mue en un malaise difficilement dissimulé. 

« On se croise de temps en temps. C'est largement suffisant. » Trancha Aaron, le nez dans son verre. 

Il se redressa soudain lorsque apparut la silhouette de Vaia. La jeune femme, l'air préoccupé, prit place devant l'estrade. 

« HEEEE ! Vava ! Tu profites pas d'la fête ? Beugla Callisto.

- Si si, rit Vaia. Je fais juste une pause pour admirer votre prestation avec Alphonse. »

Plongeant dans la naïveté, Callisto, bombant le torse de fierté, reprit les paroles de sa chanson sous les accords approximatifs d'Alphonse. Mais, à travers son regard embrumé, Callisto perçut une furtive œillade entre Vaia et Aaron. Sournoise, elle envoya valser claves et flûtes et sauta de scène. Maladroitement, elle se laissa tomber sur un banc à côté de Vaia, lui flanquant un coup de coude sans grande délicatesse.

Legend of Shapeshifters (T3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant