Chapitre 16 : Les murs

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« Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue ; pâle dans son lit vert où la lumière pleut. Les pieds dans les gla... Dans les gla...

- Dans les glaïeuls.

- ... Dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme sourirait un enfant malade, il fait un somme ; Nature, berce-le... Chaudement : il a froid.

- C'est bien, Elv. Tu as fait beaucoup de progrès. » Assura Isaac.

N'y comprenant strictement rien, Yaren tendit le cou pour plonger son regard sur les pages du livre. Mais entre les mains fières d'Elv, il ne voyait que des symboles étranges et indéchiffrables, qu'elle était pourtant parvenue à transformer en paroles intelligibles. Heureusement, il y avait toujours Joanna pour ramener tout le monde sur terre.

« Ouais, bon. Beaucoup de jolis petits mots juste pour dire qu'il pionce ! Lança-t-elle en posant la soupière sur la table à manger. C'est bien un bouquin d'humain, ça !

- Si la poésie humaine ne te séduit pas, tu peux toujours trouver ton bonheur ailleurs dans la littérature, tempéra Isaac avec un sourire amusé. Je suis sûr que Yaren serait tenté d'apprendre à lire, lui aussi.

- Moi ? »

Le jeune tigre se rappela les mines concentrées d'Elv, aussi crispées que si elle souffrait le martyre, durant ses premières leçons de lecture avec Isaac. Il déglutit bruyamment rien qu'à l'idée de s'enfermer entre ses pages juste pour y déchiffrer des mots sans intérêt.

Elv referma le recueil de poèmes de l'ancien monde et le remplaça par une assiette. Celles de chez Joanna, où les quatre changeurs s'étaient réunis pour souper, étaient taillées dans du calcaire poli, ramené de ses grandes excursions montagnardes. Beaucoup regardaient la jeune rouquine de travers en apprenant qu'elle passait ses soirées à apprendre à lire. Pourtant, c'était le seul moyen pour elle de laisser s'échapper son esprit, après ce qui s'était passé avec les deux tigres.

Yaren et elle n'en avaient pas reparlé.

Joanna jeta un regard par la fenêtre qui s'était muée en miroir avec l'obscurité.

« Rosalie ferait mieux de se dépêcher si elle veut pas que ça refroidisse.

- Oh, elle m'a dit de vous dire de ne pas l'attendre, elle est de garde dans la périphérie ce soir, informa Isaac.

- Dans ce cas, à la bouffe !

- Yaren, ton langage ! »

A peine eurent-ils enfourné la première cuillerée dans leur bouche qu'un toc-toc retentit derrière eux.

Joanna, Yaren, Isaac et Elv se redressèrent d'un sursaut, pensant que Rosalie était arrivée plus tôt que prévu, mais les coups ne venaient pourtant pas de la porte. Yaren, qui avait la vue la plus perçante, s'écria :

« La fenêtre ! C'est Kes ! »

Une ombre noire s'agitait en effet derrière les reflets des quatre changeurs. Isaac prit les devants et vint à la fenêtre pour ouvrir au corbeau. L'oiseau se jeta à l'intérieur d'un battement d'aile pour s'abriter des nuées de flocons qui tombaient du ciel.

« Il a un message à sa patte ! Fit remarquer Elv. Priam nous envoie des nouvelles d'Aust ! »

Joanna et Yaren se relevèrent d'un bond. Enfin ! Priam avait promis qu'il leur donnerait des nouvelles de Memphis sitôt arrivé à l'Ouest. Yaren ne pouvait plus attendre. Après ce long silence, cette absence si assourdissante dans ces temps troublés, il désespérait de la revoir.

« Des nouvelles de Maman. » Souffla-t-il pour lui-même.

Kes ne se laissa toucher qu'après avoir été servi de quelques couennes de jambon, le message put être décroché de sa patte noire. Tous souriaient en manipulant le petit bout d'écorce.

Legend of Shapeshifters (T3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant