Priam sursauta. Un éclaireur avait surgi d'un fourré et remontait la foule vers le peloton de tête.
« Une palissade a été hissée tout autour de la ville, haleta-t-il, au rapport. Il y a des sentinelles partout mais leur camp se trouve au nord. La voie du Sud est libre, on peut traverser sans soucis. »
Les paroles de la sentinelle firent à Priam l'effet d'une claque. Il s'ébroua, et redoubla sa cadence en enfonçant profondément ses sabots dans la neige. La pinède était épaisse, la pente était raide, mais dans son esprit se dessinait clairement Ragnok sous cloche. Son ardeur s'enflamma. Quoi qu'il en coûte, il sauverait son père et sa mère.
Kale cheminait à ses côtés, à la tête de la horde de soldats. Mais le chevreuil avait tant redoublé d'efforts que le jeune homme ne parvint plus à le suivre. Il s'arrêta un moment, le ventre au supplice, les pieds gelés dans ses chaussures trempées de neige. Tous les rebelles, la plupart sous leur forme animale, le dépassèrent, focalisés sur la fin de leur trajet. Fébriles, ses doigts se portèrent à son ventre, palpant une tâche naissante, poisseuse. Une main claqua soudain sur son dos et un bras lui redressa les épaules.
« Et bah mon pote ça t'as pas réussi le Nord ! Il est passé où le champion d'arène ? »
Callisto poussa sur ses cuisses pour hisser son ami dans la pente. Elle était elle-même exténuée, chargée et transie de froid, mais elle n'oubliait pas qu'elle restait une des chanceuses de la bataille du Nord. Kale lui sourit avec gratitude et reprit ses efforts, gardant une main sur l'épaule de la brune, l'autre sur sa blessure. Les rangs de la compagnie s'espacèrent peu à peu car par petits groupes, les rebelles gagnaient ce qui allait devenir leur camp.
Les équipes de Ragnok avaient guidé les autres vers un endroit à l'abri des regards et suffisamment éloigné des puristes pour qu'ils puissent s'y établir en paix. C'est à l'Est, derrière un massif rocheux, qu'ils trouvèrent refuge. La pinède y était dense, et les montagnes avaient creusé un relief, une sorte de cuvette à couvert des sapins. Lorsque Callisto et Kale, haletants, posèrent enfin le pied à son sommet, ils ne purent retenir une exclamation étonnée.
Ils étaient tous les deux à bout de souffle, sales et fatigués du voyage, forcés de regarder les soldats s'affairer à monter les tentes. D'où leur venait cette folle énergie ? Voilà désormais six jours qu'ils étaient sur les routes. Ils avaient bravé la neige, le vent et le blizzard du cœur de l'hiver. Tous étaient éreintés, mais dressaient ce camp à la vitesse d'un ouragan. En tant que chef d'escouade, Kale voulut faire bonne figure. Callisto et lui dévalèrent la pente pour aller mettre la main à la pâte.
Les deux amis avançaient, avec autour d'eux un tourbillon d'agitation. On allumait les braseros, dressait les piquets, jetait les toiles de tente. Au milieu de tant d'efficacité, le cerveau engourdi, les deux amis se regardèrent comme deux carpes.
« Je vais aller voir si tous les soldats de mon escouade vont bien. » Fit alors Kale avec assurance.
Callisto hocha la tête.
« Ouais, et moi je vais euh... pioncer quelque part dans la pinède et attendre qu'on me repère. Histoire de vérifier que la sécurité se met en place quoi. »
Kale se mordit la lèvre pour ne pas rire et, après une œillade entendue, les deux jeunes gens se fondirent dans la foule du camp.
Mais à peine avait-il fait un pas vers la lisière de la forêt, qu'une force projeta Kale contre le sol.
L'intrus regretta amèrement de ne pas s'être annoncé. Sans comprendre, il bascula sur le côté, une dague sous la gorge. Kale l'avait attrapé, retourné et immobilisé. Et sous le museau de l'intrus épouvanté, fleurit un bouquet de lances.
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Legend of Shapeshifters (T3)
AdventureDécret de l'automne 53, Ewilem : " Article 1 : Tout individu de race non-pure, mâle, femelle et enfant, a pour obligation de se déclarer à la Milice ewilemienne et de se rendre dans le quartier de l'Est où la résidence lui est réservée. Article 2 :...