Legend of Shapeshifters (T3)

Chapitre 13 : Le prix de l'honnêteté

Coincée entre ses dents, la bête s'agitait. Mais le prédateur, cramponné au cou de sa victime, mit fin à la lutte d'un fulgurant coup de dents. Entre ses mâchoires, Elv sentit le lièvre s'éteindre. Triomphante, la gorge maculée du sang de sa proie, elle se tourna vers le tigre qui trottinait jusqu'à elle.

« Bien joué ! S'exclama-t-il.

- C'est pas toi qui aurait pu aller le débusquer jusqu'à son terrier hein ? » Se vanta-t-elle.

Et pourtant, Elv détourna brusquement le regard. La chasse. Voilà ce qui avait été proposé pour dissiper la gêne matinale. Elle s'était réveillée dans les bras de Wade, encore ivre du retour de ses sentiments. Et pourtant, après le passage de la nuit, le rêve avait perdu de son éclat, et le jour avait replongé Elv dans sa réalité.

Qu'allait-elle faire ? Que devait-elle choisir ? Le Wade de ses souvenirs était manipulateur, cruel, égoïste, mais ce n'était pas contre cet homme là qu'elle s'était endormie la veille. C'était trop soudain, trop brusque. Et qu'allaient dire Priam, Joanna et Yaren ? Eux qui avaient veillé sur elle, l'avaient vu reprendre de l'état après les dégâts qu'avait causés Wade. Pour le moment, elle était incapable de prendre la moindre décision.

« Essaie d'attraper un sanglier qu'on rigole. » Railla le tigre, tirant Elv hors de ses pensées.

Elle se félicitait de son initiative, car chasser les détournait des sujets de conversation épineux. Sa prise entre les dents, elle lui emboita le pas.

Wade guida Elv vers un arbre creux, une cachette pour le gibier devant laquelle ils seraient forcés de passer pour rejoindre la ville. Le froid dansait contre sa fourrure et la confusion agitait ses sens. Il goûtait à nouveau aux plaisirs de son existence passée mais pour combien de temps ? Ses émotions le rongeaient. Cette partie de chasse, si anodine soit-elle, couvait un tas de complications dissimulées. Ils s'étaient jetés à corps perdus dans ce qui les rapprochaient, évitant soigneusement le gouffre entre leurs idéaux, bien plus profond après ces quelques lunes.

Les deux prédateurs repartirent vers les plus hauts plateaux, humant les odeurs de potentielles proies. Soudain, Elv se figea. Attentif, Wade stoppa sa course. Au bout du sentier, enfoncée dans la forêt, se tenait la silhouette gracile d'un chevreuil. Une mine satisfaite revêtit le visage du tigre. Il s'affaissa. A pas de velours, contre le vent, le félin disparut parmi les frondaisons. Mais soudain, Wade se redressa d'un bond, crocs découvert. L'odeur qu'il venait de sentir mettait fin à la légèreté de sa matinée.

Un autre prédateur déboula sur la crète dans un boucan d'enfer. C'était un jeune tigre, la démarche mal assurée et l'excitation brouillant ses enseignements. L'animal jaillit des fourrés toute griffes dehors. Et puis brutalement, une étincelle d'effroi s'alluma dans ses yeux bleus. Ses griffes se rétractèrent et avec une exclamation étranglée, il roula sur le sol. Le chevreuil prit la fuite.

Honteux et endolori, Yaren se redressa. Sa professeure n'avait de cesse de le rabrouer sur ses hésitations. Tu dois être plus ferme, lui disait-elle, choisir le prédateur et non la proie. Avec un soupir, il songea qu'il était bien plus facile de le dire que de l'exécuter. Il allait repartir vers le silence des montagnes lorsque ses muscles se figèrent. La crainte lui harponna l'échine lorsqu'un grondement fit vibrer ses tympans. Massive, une ombre planait derrière lui. Ses pattes se mirent à trembler et il fit volte-face. Confronté à deux rangées de crocs luisants, Yaren glapit de peur et se ramassa contre le sol. C'est alors que le grondement fit place à un soupir suffisant.

« Ça s'est pas arrangé on dirait. »

Yaren redressa prudemment la tête. Sa gorge se serra, car ces crocs appartenaient à une bête dotée du même pelage que lui.