18 - Chasse espiègle

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Quand j'ouvre les yeux, un mal de tête me donne envie de les refermer directement. J'ai pleuré longtemps cette nuit, me demandant ce qu'allait être ma vie. Ma première pensée était d'attendre le vrombissement de la moto de Tonío, la seconde a été de me souvenir qu'il ne m'a pas adressé un seul regard en me quittant. C'est ridicule. Vraiment ridicule.
Est-ce qu'il va me ramener Abby lui-même ?
Et la troisième chose est que je suis rentrée chez moi. Enfin chez mon frère dorénavant.

Je n'ai aucune envie de me lever, aucune envie de manger, aucune envie tout court mais je ne compte pas me cacher. Ça, ça n'arrivera jamais. Je dois discuter avec mon frère de notre discussion puéril d'hier et je pense qu'il n'y a rien de mieux que des souvenirs pour nous rappeler ce qu'on était l'un pour l'autre.

Alors, après m'être douchée et habillée, je descends jusqu'à la salle de réception, puis la salle à manger. Personne. Je vais dans le jardin, personne, sauf des gardes à chaque entrée de la maison. En cherchant dans les pièces toutes vides, mes pieds s'arrêtent d'eux-mêmes devant le bureau de mon père. Il ne voulait jamais que je rentre dans cette pièce.

Je regarde derrière moi, comme s'il allait être là à m'en dissuader, mais cette fois, il n'est plus là. En faisant un pas sur le parquet qui grince, je peux sentir l'odeur de mon père, le cigare, le cognac et l'argent. Les gens racontent que l'argent n'a pas d'odeur, mais ils n'ont jamais senti mon père. Il sentait l'encre et le papier comme s'il se roulait dans des billets toute la journée. Ce qui était peut-être vrai. Je passe ma main sur la douceur du grand bureau en acajou et le contourne jusqu'à me retrouver devant le fauteuil en cuir de mon père. Encore une fois, je jette un œil derrière moi et en constatant qu'il n'y a personne, je m'assoie au ralenti. L'impression soudaine de faire une grosse bêtise. Les bras reposés sur les accoudoirs, je regarde la cheminée éteinte en face de moi et le grand tableau qui prône au-dessus. Lui-même.
Son crâne luisant, la cicatrice à son œil, ses yeux bleus.
J'ai toujours trouvé ça copieusement narcissique. Encore plus maintenant, je dois dire. Il ne me donnait jamais l'impression de l'être quand j'étais avec lui pourtant. Ma tête repose sur le dossier et le siège s'allonge un peu plus pour me permettre de regarder la pièce plus en détail. Le cendrier vide est toujours sur le coin du bureau, un stylo à plume et un paquet de feuilles blanc cassé devant moi.

J'arrête mon œillade pour saisir le stylo et passer le doigt sur la gravure.

A giovine cuor tutto è giuoco, à jeune cœur tout n'est que jeu.
Un proverbe de La Cosa Nostra. Je n'ai jamais vraiment su ce qu'il voulait dire. J'ai eu beau demander, je ne l'ai jamais compris.

Au fil de mes pensées, je commence à dessiner et à me laisser aller sur le papier. Ma plume glisse sur la surface et dépose des filets d'encres. À ce moment-là, je suis un peu comme dans une frénésie, je ne sais pas ce que je dessine avant la fin. Avant de découvrir deux hommes dont on ne voit pas le visage qui se serre la main. Deux hommes qui ressemblent étrangement à Tonío ainsi qu'à mon frère. Et derrière, il y a cette fille qui les regarde tous les deux, qui semble ne pas savoir qui choisir.

Ma pauvre fille..
Ils ont fait le choix pour toi.

Mais s'il me l'avait réellement donné ce choix ? Qui aurais-je choisi ?

Mes pensées sont interrompues quand je remarque l'ombre à la porte. Je ne l'avais pas remarqué avant, il me regarde sûrement depuis plusieurs minutes, tapis dans l'ombre.

Bonjour fratellino ?

— Tu dessines toujours ?
Je vois que même dire bonjour est difficile pour lui, je le fixe et il bredouille

Je suis content que ce soit toujours le cas.

Il a l'air plus détendue qu'hier et je ne suis pas assez bête pour ne pas saisir l'opportunité
— J'ai pensé que nous pourrions aller chasser cet après-midi, qu'en penses-tu ?

Le MotesineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant