ch20

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[Manche trois, troisième joueur.]

Ren prit une grande inspiration pour reprendre de l'air et essaya de penser aux trois dernières choses qu'elle pourrait dire pour s'en sortir. C'était sur cette manche que tout se jouait, cette perspective la soulageait car la douleur s'en irait enfin, et en même temps elle n'était pas sûre de pouvoir se réveiller.

C'était un jeu où plutôt que d'être forte contre les autres, elle devait être forte contre elle-même. Elle devait affronter son passé seule, elle devait l'accepter, accepter qui elle avait été et l'assumer en face de tout le monde, c'était quelque chose qui jusque-là avait été impensable pour elle.

Peut-être qu'avant de devenir douée à manipuler les autres, elle devait d'abord se soigner de ses propres douleurs et accepter. Une chose qu'elle n'avait jamais fait dans le monde d'avant : accepter, et passer à autre chose. Ce n'est qu'en battant son passé, en battant ses propres limites et scrupules, qu'elle pourrait devenir redoutable. Il fallait qu'elle gagne cette bataille.

"J'ai été virée de mon université parce qu'on m'a agressé sexuellement, j'ai fait de la prison pour avoir presque battu quelqu'un à mort, et ma sœur s'est suicidée quand j'avais seize ans."

Elle crut entendre sa voix flancher sur la fin, en mentionnant sa grande sœur. C'était dur de parler d'elle, de se souvenir d'elle, qu'elle n'était plus vivante, qu'elle n'était plus là. Avec le temps c'était même devenu dur d'admettre qu'elle avait existé.

Il n'y avait pas vraiment d'histoire à raconter sur sa sœur, simplement qu'elles étaient proches, et qu'elle s'était prise la vie sans qu'elle ne sache jamais pourquoi. Derrière elle, rien du tout. Pas de lettre, pas de mots, pas d'explication, juste un corps.

Ren avait un passé qu'elle préférait oublier, c'était quelque chose qui l'avait rendue vulnérable et instable, quelque chose qu'elle avait laissé derrière elle dans l'autre monde, mais qu'elle devait désormais ressortir pour assurer sa survie.

En réalité, elle détestait parler d'elle tout court. Elle l'avait tellement aimée que c'était difficile d'admettre qu'elle n'avait jamais pu voir son mal-être, elle n'avait jamais pu l'écouter. Ren avait tout donné pour essayer d'honorer sa mémoire, pour se faire pardonner, parce que ça la fasse se sentir meilleure. Mais son deuil n'avait jamais vraiment été fait.

Aujourd'hui c'était l'occasion pour elle de passer à autre chose, et d'arrêter de s'en vouloir.

Vivre en étant une femme avait toujours été dur, en tout cas plus dur que d'exister en étant un homme. Ren avait toujours ressenti cette différence de privilège dans la vie d'avant, parce qu'être une femme, c'est aussi tout le poids des normes qu'il faut traîner au long de sa vie. C'est ne pas avoir le droit de se faire entendre dans un auditoire, et d'avoir peur dans une salle remplie d'hommes, c'est de se faire plus petite, et si l'idée venait à une femme de faire autrement, la société ne saurait faire autre chose que de l'exclure.

C'était mal fait, parce que personne ne l'avait crue. Personne n'avait pris son parti, quand elle était allée expliquer ce qui lui était arrivé, personne ne l'avait soutenue quand elle était allée raconter qu'elle avait été victime, comme bon nombre d'autres filles. Au final, c'est elle qui a été forcée à quitter le campus, et son agresseur courait encore les rues en liberté.

Parce que c'était ça être une femme. Ne pas avoir le pouvoir, dans un monde où les hommes tenaient les rennes.

À nouveau elle s'en était sortie seule.

Le vrai monde était mal fait, c'était aussi pour ça qu'elle ne souhaitait pas y revenir. Elle avait accumulé trop de haine pour le système, elle avait vécu trop d'injustice, et le pire dans ce monde là, c'était qu'aucun individu n'avait le pouvoir d'y changer quoi que ce soit.

Il fallait toujours suivre ces fichues normes.

Sortant de ses réflexions profondes ses yeux tombèrent à nouveau droit dans ceux du blond qui la regardait avec insistance. Une émotion similaire à celle d'avant, mais encore un peu plus prononcée. C'était presque de l'empathie, mais pas tout à fait. Elle essayait de le décrypter mais elle n'y arrivait plus. De toute façon sa tête ne fonctionnait plus très bien, elle était déjà à moitié assoupie.

Sa peau brûlait amèrement, ça grattait, ça démangeait, elle avait envie de se l'arracher. Elle avait la tête fourmillante, elle tentait de penser mais rien ne venait, elle était incapable de réfléchir de façon cohérente. Son cœur battait lentement, la respiration lui manquait parfois où elle était à deux doigts de s'étouffer. Elle avait l'impression de se noyer.

Et elle avait surtout envie de pleurer, envie de s'effondrer, de tout lâcher, les efforts, la résistance, ses airs forts, ses pensées, ce qu'elle ressentait. Elle trouvait ça pathétique d'être si proche de laisser tomber, mais elle était épuisée. Pour une fois, elle aurait juste préféré s'endormir.

Elle se sentait si vide, et si seule.

Chishiya avait alors à nouveau murmuré quelque chose à l'autre jeune homme. Ren put apercevoir le blond lui faire à son tour un signe peace, ce qui lui donna une petite envie de sourire, mais son visage était dans l'incapacité de réagir.

C'était étrange à dire mais il était le seul espoir qui lui restait dans ce jeu. Elle avait du mal à accepter qu'elle était obligée de miser sur lui, de lui accorder une petite part de sa confiance. Elle n'aurait jamais cru que ce serait possible, mais elle y croyait, pour la toute première fois, et c'était étrange.

Elle ferma les yeux et crispa ses doigts, la seule partie de son corps qu'elle pouvait encore bouger, s'attendant à recevoir la dernière décharge.

Son coeur se souleva violemment en sentant l'électricité la reprendre, elle avait l'impression d'être battue à répétition pendant d'horribles et longues secondes. Cette fois elle eut vraiment l'impression que c'était le trou noir, elle fut incapable de rouvrir les yeux même si elle forçait sur ses paupières, incapable de lever son torse, incapable de faire quoi que ce soit.

Elle était dans un état où elle était vaguement consciente et majoritairement endormie, elle ne savait pas si c'était la mort qui l'attendait ou autre chose. Elle ne ressentait plus grand chose et n'entendait plus rien, son coeur ne battait plus, du moins elle ne l'entendait pas. Elle ne comprenait pas ce que cet engourdissement représentait mais elle tombait dedans. Son esprit sombrait dans la douleur qui était devenue tellement insoutenable qu'elle ne la ressentait même plus.

Dans toutes ces choses sordides qui étaient ressorties sur elle, malgré leur horreur, elle avait surtout honte. Elle avait conscience qu'elle avait vécu des choses anormales, que personne n'était supposé vivre, qui pouvaient être destructrices. Des choses qui affaiblissaient les gens, qui les traumatisaient, et elle n'avait pas envie d'être assimilée à ça. Parce que toute sa vie elle avait été forte, elle l'était restée, même quand elle avait eu envie d'abandonner, même quand elle était au fond du trou, elle s'en était toujours sortie.

Elle était forte, elle l'avait toujours été. Alors elle souhaitait être considérée comme telle.

Ren termina par sombrer dans l'inconscience totale. Elle n'eut pas le temps de voir ses poignets et chevilles être libérés, elle ne vit pas non plus le jeune homme avec qui elle était en paire se faire transpercer par un lazer dans la salle d'en face.

Et elle ne sentit pas non plus Chishiya qui était venu la relever pour la ramener à la maison.

[Jeu terminé, félicitations.
Nombre de survivants: 6
8 jours de visa gagnés]

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Je trouvais important de parler du passé de Ren, elle a vécu des choses dures qui arrivent malheureusement à beaucoup de gens dans la vraie vie aussi :(

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