Chapitre 15 - Trouble

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« Comment te sens-tu ? » l'interrogea Elvan, qui prit place à côté d'elle dans la cuisine, une tasse emplie d'un liquide trouble à la main.

La jeune domestique s'enfonça un peu plus dans la chaise en bois sur laquelle elle était assise, les yeux tournés vers le sol et les mains agrippées au tissu de son uniforme, qui était couvert de poussière au niveau des genoux.

Cela faisait déjà quelque minutes qu'Elvan l'avait extirpée de la chambre de la matriarche, dont elle avait refusé de sortir avec véhémence. Maintenant qu'elle avait été isolée et qu'elle avait recouvré son calme, elle ne pu s'empêcher que se sentir particulièrement honteuse.

Je me suis tournée en ridicule.

Le majordome ne s'offusqua pas de son silence et attendit bien sagement en lui tendant la petite pastille rouge qui lui était si familière. Elle l'ingéra sans plus de soucis et ferma les paupières, sentant le comprimé glisser le long de sa gorge avant de disparaître en elle.

[Vous mentez !] se rappela-t-elle de sa voix stridente et éraillée.

Les souvenirs troubles qu'il lui restait de ce moment étaient déconcertants. Elle avait complétement perdue les pédales de son propre corps. L'image qui survivait de sa crise était celle d'une hystérique en plein délire. A dire vrai, elle ne se reconnaissait pas du tout en cette femme qu'elle avait été l'espace d'un instant.

Cette colère... Ce désespoir... Ne semblait pas lui appartenir, au point qu'elle eut l'impression d'avoir été possédée durant un court instant. Elle ne savait pas ce qui avait pu provoquer pareille réaction... Elle n'en avait aucune idée.

« Aina ? » insista Elvan, qui la contemplait, un air compliqué au visage.

Se rappelant qu'il était là, elle releva les yeux vers lui et rencontra son regard de jade, qui dépeignait une certaine inquiétude mêlée à la tristesse. Comme chaque fois qu'elle le voyait, il l'aidait et se préoccupait d'elle, alors qu'elle n'était que sa collègue et donc personne d'importance pour lui en définitive. C'était Elvan qui lui avait permis de recouvrer ses esprits.

Il était arrivé sans qu'elle le réalise et l'avait empêché de se noyer dans son chagrin et son désarroi.

Il me sauve toujours.

Chaque fois qu'elle avait craqué... Chaque fois que le démon qui semblait l'habiter avait commencé à prendre le dessus sur sa raison, il était là, sans qu'elle sache comment il avait atterri près d'elle, comme un ange gardien veillant sur elle. Aussi ne parvint-elle pas à l'ignorer à nouveau, même si elle avait terriblement envie de demeurer silencieuse.

« Je... » hésita-t-elle, la voix rocailleuse et éraillée de s'être époumonnée un peu plus tôt. « Je vais bien. »

Elvan n'eut pas l'air convaincu, soit parce qu'elle lui avait déjà assuré cela quelques heures plus tôt, ou tout simplement à cause du tremblement de ses paumes et du regard fuyant qu'elle arborait en sa présence.

Ce dernier lui prit les mains, comme pour la forcer à se concentrer sur lui. Maintenant qu'il était là et qu'elle avait pris son traitement, elle se sentait mieux... Plus sereine. Elle avait l'étrange impression que la folie qui s'était emparée d'elle quelques minutes plus tôt n'était qu'un lointain souvenir, voire un rêve qui ne s'était jamais produit. Elvan continua à l'observer, se mordant occasionnellement les lèvres d'un air embarrassé.

Aina se recroquevilla sur elle-même, espérant disparaître dans un trou de souris pour ne pas faire face aux propos de son interlocuteur qui – elle en était certaine – s'apprêtait à entamer une conversation, à laquelle elle n'avait aucune envie de participer. Elle s'était donnée en spectacle devant sa maîtresse en lui criant dessus et l'injuriant, ce qui aurait pu lui valoir une punition sévère pour avoir insulter une noble.

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