Chapitre 2 - Un ami dans le besoin

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Au milieu des six soldats en uniforme jaunes à rayures sombres, les couleurs de Névinda, qui se montraient particulièrement attentifs à celui qu'ils encadraient en le surveillant étroitement, se tenait un homme sur qui le regard dépareillé de Nigel se riva immédiatement.
Escorté par les soldats, il était clairement leur prisonnier, comme le confirmaient les lourdes chaines qui entravaient ses poignets, reliées à celles de ses pieds, l'empêchant d'avancer totalement à son aise.
L'homme était grand, pas autant que Nigel, mais, du haut de son mètre quatre-vingts, il dépassait certains des gardes qui l'encadraient. Sa grande taille conjuguée à ses muscles galbés et puissants le dotaient d'une stature impressionnante. Le maitriser n'avait probablement pas été aisé, même à plusieurs et même pour des hommes entrainés.
Agé de visiblement un peu moins d'une trentaine d'années, son visage paraissait taillé dans la pierre avec son menton carré, ses mâchoires fortes, son nez droit et long à l'arrête plutôt épaisse, ses lèvres fines étirées et son front large.
Son teint doré contrastait avec la couleur de ses larges boucles entre le blond cendré et le gris, qui retombaient sur son front et dans sa nuque.
Nigel savait que, habituellement, il camouflait ses yeux aux contours durs sous un bandeau noir, suffisamment épais pour les cacher mais néanmoins suffisamment fin pour qu'il puisse voir à travers, mais, actuellement, ils étaient parfaitement visibles. D'un jaune vif, ils étaient parcourus de veinules rouges et leur pupille était fendue, tels les yeux de certains serpents.
Devant Nigel, celui qui était si solidement entravé n'était autre que Manolis Naxwell dit Sang de Gorgone le Guide, celui qui avait réuni chacun de ceux qui avaient par la suite formé le groupe des Déchus.
On l'avait finalement retrouvé et capturé. Nigel se demandait comment cela avait pu arriver et pourquoi Manolis semblait se laisser faire alors que ces soldats le trainaient à leur suite. Si il l'avait souhaité, il aurait pu tous les changer en pierre pour plusieurs minutes d'un seul regard, surtout alors qu'il ne portait pas son bandeau, qui évitait normalement les métamorphoses accidentelles.
Peut-être attendait-il tout simplement le moment opportun pour tenter de s'échapper car, entouré par la foule de curieux qui s'était amassé pour assister à son passage, il n'aurait certainement pas pu aller très loin, sans compter que plusieurs membres de la garde d'Eluville se trouvaient également sur la place pour s'assurer qu'aucun débordement ne survenait ou que leurs collègues névindiens se comportaient correctement tant qu'ils étaient sur leur territoire cependant, Nigel n'était guère doué pour deviner les pensées d'autrui, encore plus lorsqu'il était question de stratégie ou de réflexion.
Tout ce qu'il voyait était que son ami était prisonnier et escorté de soldats. Le déplacement de ces derniers à Eluville s'expliquait par la capture de Manolis. Ils comptaient certainement prendre un navire depuis le port de la ville pour gagner Aubry, une autre cité portuaire de Thamyre, située sur la côte opposée de la Mer d'Elioppe, puis, de là, franchir la frontière avec Névinda.
Il était absolument hors de question que Nigel laisse faire une telle chose. Jamais il n'abandonnerait un membre de sa famille, tout comme les autres membres des Déchus.
Ne songeant pas aux circonstances fort peu propices à un sauvetage, qui poussaient probablement Manolis à ne rien tenter pour l'instant, Nigel s'apprêta à s'élancer vers son ancien camarade en fendant la foule sans le moindre plan ni se soucier de tous les témoins, qui auraient pu devenir autant d'adversaires l'empêchant de fuir.
Comme bien souvent, il agissait dans l'immédiat sans réfléchir ni prendre le temps d'étudier la situation.
La seule réflexion qu'il menait était que, si ces soldats faisaient monter Manolis sur un navire, il n'aurait plus l'occasion de l'aider et ne le reverrait probablement jamais, ce qu'il ne pouvait accepter.
Alors qu'il s'apprêtait à bondir pour rejoindre l'ancien meneur des Déchus sans réfléchir davantage, Nigel fut subitement freiné par une poigne qui se referma autour de son poignet. Retenu de la sorte, le jeune homme baissa les yeux sur Gaëlan, qui venait de l'empêcher de s'élancer. D'un regard, il indiqua à son amant qu'il n'aurait aucune chance dans cette situation en lui montrant de discrets signes de tête, les soldats qui encadraient Manolis, les membres de la garde d'Eluville en poste autour de la place, tous armés et plus que largement en surnombre, ainsi que tous les curieux qui se massaient autour d'eux et qui auraient bloqué leur fuite.
Se lancer dans une opération de sauvetage de Manolis ici et maintenant aurait été totalement suicidaire, surtout sans la moindre stratégie. Manolis était certes prisonnier et allait certainement être conduit à Tikkr'eth, la capitale de Névinda, pour subir une condamnation mais, si Nigel intervenait sur cette place, il se ferait lui aussi neutraliser et capturer or, un seul Déchu captif valait mieux que deux.
Par ailleurs, même si Gaëlan connaissait l'attachement de Nigel pour ses anciens camarades, puisqu'il lui en avait souvent longuement parlés, ce qui avait d'ailleurs parfois provoqué sa jalousie, et qu'il avait identifié le célèbre Sang de Gorgone, fondateur et meneur des Déchus, il refusait de laisser Nigel s'exposer à un danger dont il n'aurait pu triompher. Manolis ne représentait rien pour lui, il ne le connaissait qu'à travers sa réputation et les histoires de Nigel, même si lui aussi l'avait sauvé avec sa famille. En revanche, Nigel était l'homme qu'il aimait et il préférait vraiment ne pas le voir enchainé et conduit vers son triste sort.
Il n'avait pas la moindre chance de sauver Manolis cependant, Nigel ne semblait pas partager son point de vue.
Encore une fois, il ne réfléchissait pas à tout cela. Il souhaitait seulement faire quelque chose pour son ami et le protéger, comme lui les avait toujours protégés.
Se débattant, il s'arracha à la poigne de Gaëlan qui lui rattrapa le bras à deux mains, ce qui n'aurait probablement pas changé grand chose si Nigel ruait véritablement pour se libérer. Resserrant sa prise, il tenta de transmettre toute l'ampleur de son inquiétude à son amant, qui ne parut pas le remarquer, entièrement focalisé sur Manolis entravé.
S'efforçant de plonger son regard dans le sien sous sa capuche, sans grand succès puisque Nigel conservait le sien sur son ami, il articula lentement et en silence que ça aurait été de la folie de tenter quelque chose dès à présent, qu'il allait se faire capturer comme Manolis sans pouvoir rien faire pour lui et qu'il n'aurait pas supporté de le voir se faire emprisonner cependant, ce ne fut toujours pas suffisant pour raisonner Nigel.
Ce dernier ne l'écoutait pas. Après presque quatre ans, Gaëlan savait qu'il était difficile de ramener Nigel à la raison une fois qu'il était lancé mais il constatait que c'était encore pire que ce qu'il lui semblait.
Ne pouvant visiblement rien faire de plus, Gaëlan s'agrippa désespérément au bras de Nigel pour essayer de le retenir, en vain. Il n'en avait pas la force.
D'un vif geste sec, il arracha brutalement son bras à la poigne de Gaëlan, déséquilibrant ce dernier qui tituba de quelques pas en arrière, bousculant l'un des badauds de la foule.
L'agitation qui commençait à provoquer leur empoignade, alors que Gaëlan s'accrochait à la cape de Nigel pour s'efforcer de le freiner en dernier recourt pendant que Sang de Vampire écartait plusieurs curieux, toujours concentré sur son objectif de venir en aide à Manolis, se fit remarquer, notamment car un cercle autour d'eux se formait dans la foule. Les gardes postés autour de la place se dirigèrent vers eux, les mains sur le pommeau de leur épée, les sourcils froncés.
Les soldats qui escortaient Manolis s'aperçurent également que quelque chose d'apparemment anormal se passait. Ils stoppèrent en forçant Manolis à en faire de même, le tenant fermement par les bras, et observèrent ce qu'il se passait.
En voyant soudainement ces soldats armés qui avançaient vers lui, Nigel comprit enfin que tout ce qu'il aurait gagné à s'obstiner de la sorte à vouloir intervenir en faveur de Manolis aurait été de se retrouver enchainé aux côtés de son ancien camarade. Ce dernier le remarqua à son tour.
Ses yeux jaunes de serpent se posèrent sur Nigel et, même si il lutta pour ne pas manifester la moindre once de surprise, ce qui aurait pu mettre Nigel en danger, ils s'écarquillèrent. De toute évidence, il ne s'attendait vraiment pas à découvrir l'un de ses anciens camarades au milieu de cette foule venue assister à son passage.
Bien que son visage soit dissimulé par l'ombre de sa capuche, Manolis le reconnut. Après tout, il n'y avait pas beaucoup d'hommes de cette taille camouflé sous des vêtements qui n'exposaient pas le moindre centimètre de peau qui se serait agité pour s'approcher de lui, comme rendu fou par la situation, ne supportant pas de le voir captif. En revanche, il ne connaissait pas le jeune homme soigné qui s'agrippait à Nigel dans l'espoir de le retenir, sans grand succès mais il avait au moins le mérite d'essayer de protéger Nigel de lui-même et de ses réactions impulsives.
Achevant de faire comprendre à Sang de Vampire que tenter la moindre chose actuellement était une très mauvaise idée, Manolis secoua discrètement négativement la tête de gauche à droite puis il lui ordonna de préstement filer d'un signe de la tête presque imperceptible. Cette fois, Nigel entendit raison, même si Manolis y réussit sans formuler un mot, cependant, les gardes l'avaient déjà repéré et jugeaient son comportement plus que suspect.
Comptant bien vérifier ce qu'il se passait exactement, ils encerclèrent Nigel, ainsi que Gaëlan puisqu'il était toujours accroché à ce dernier.
Le lâchant, le jeune homme se posta devant Nigel, qui réalisait l'erreur qu'il avait faite et la situation précaire dans laquelle il se trouvait à présent à cause de son manque de réflexion, les épaules dégagées vers l'arrière en une posture assurée et sereine, qui permettait d'exposer parfaitement le blason brodé sur sa poitrine aisément identifiable comme celui des Souffian, famille puissante d'Eluville.
Saluant les gardes d'un hochement de tête courtois, un sourire détendu aux lèvres, Gaëlan s'adressa à eux :

Le Sang des Déchus - Tome 1 : Sang de Mercenaires [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant