Chapitre 3 - Infiltration ratée

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Le bâtiment carré s'élevait sur cinq étages, une construction très simple qui privilégiait l'aspect fonctionnel. Aucune construction ne lui était directement mitoyenne et la rue pavée séparait la prison de tous les autres bâtiments qui se massaient autour, comme pour garder une distance prudente avec ce que représentait la prison. La majorité était des habitations modestes qui paraissaient bien petites à côté de la masse de la prison. Parmi elles, Nigel repéra quelques demeures bien plus luxueuses. L'une d'entre elles était même juste à côté de la prison, immédiatement de l'autre côté de la rue.
Finalement, il y avait bien quelques citadins aisés qui avaient eu le courage de s'établir à côté de la prison mais peut-être n'y avait-il tout simplement pas de plus ailleurs dans la ville.
Reportant son regard sur l'organisation de la prison, Nigel remarqua que le toit était plat, il aurait donc été aisé de s'y déplacer, ainsi que les fenêtres pourvues de barreaux aux deux premiers étages et aux deux derniers. Celui du milieu, le troisième, en était dépourvu. Quelques lueurs vacillantes filtraient à travers les carreaux de cet étage. Certainement était-ce là que se situaient les installations réservées aux gardes de la prison. Dans tous les cas, ces fenêtres sans barreaux offraient une excellente entrée à Nigel.
On avait certainement choisi cet étage pour placer les quartiers des gardes pour éviter que le premier venu ne cherche à s'infiltrer dans la prison ou à s'en échapper trop facilement cependant, ce n'était pas cela qui allait freiner ou dissuader Nigel.
Ces quelques minutes d'observation lui suffirent à se forger une idée de l'organisation de la prison.
Il n'avait qu'à entrer, trouver Manolis, forcer la serrure de sa cellule puis ressortir avec son ancien camarade. De toute manière, il n'était pas fait pour construire une stratégie complexe en réfléchissant longuement.
Il avait déjà relevé que l'une de ces élégantes demeures, celle juste de l'autre côté de la rue, possédait un balcon situé face aux fenêtres du troisième étage. C'était comme si on lui avait donné les clés pour entrer dans la prison.
Enveloppé dans sa cape et dans l'obscurité, dans laquelle il avait heureusement l'habitude d'évoluer pour distinguer les choses aussi clairement que possible, Nigel se dirigea vers la demeure.
Un mur d'enceinte ceignait le jardin la prolongeait.
Avec une agilité incroyable, il l'escalada. C'était à peine si il avait besoin de trouver les prises. Son sang partiellement vampirique le dotait de la capacité d'évoluer sur les murs avec une telle habilité qu'il semblait marcher dessus, même si il s'aidait de ses mains.
D'un bond souple, il sauta dans le jardin obscur. La porte vitrée qui donnait dessus depuis l'intérieur de la demeure était même entrouverte, probablement pour permettre à l'air nocturne d'entrer cependant, il n'y avait pas que la fraicheur qui allait s'y glisser.
Telle une ombre silencieuse, Nigel pénétra dans la demeure. Restant immobile un instant, il guetta le moindre son mais n'en capta aucun. Entre ce silence et l'obscurité du rez-de-chaussée, il pouvait déduire que personne ne s'y trouvait malgré l'heure encore précoce, ce qui l'arrangeait grandement.
D'une démarche féline, les genoux légèrement fléchis, il se mit en quête d'escaliers qui l'auraient conduit vers le premier étage et le fameux balcon. Il n'avait aucune idée de la manière dont la demeure s'organisait mais, en l'arpentant, il aurait dû finir par tomber sur les escaliers, ce qui fut effectivement le cas après plusieurs minutes.
En montant les marches, il entendit la rumeur presque imperceptible de conversations et une légère lumière de chandelle tremblotait sur le palier des escaliers. De toute évidence, ce premier étage n'était pas aussi inanimé que le rez-de-chaussée mais cela ne représentait pas une difficulté pour Nigel, qui poursuivit son chemin dans les couloirs à la recherche du balcon.
Poussant une porte, il déboucha dans un petit salon décoré de toutes sortes de bibelots dans le mur duquel s'ouvrait une porte donnant sur le balcon. Il avait trouvé rapidement, ce qui était bien la preuve que perdre du temps en longue préparation ne servait finalement pas à grand chose. Tout le monde le considérait comme un idiot mais il n'avait pas tort d'agir comme il avait toujours coutume de le faire.
Son regard s'attarda sur quelques bibelots exposés sur le manteau de la cheminée, un chandelier en argent qui accrochait les lueurs de la ville qui filtraient par les fenêtres notamment. Ça devait valoir une petite somme, rien d'exceptionnel mais bien suffisamment néanmoins. S'infiltrer dans cette demeure aisée et contempler quelques richesses, qui le tentaient grandement, il l'avouait, lui rappelaient son ancienne vie, celle qu'il avait connue avant de rejoindre les Déchus. Ça lui paraissait bien lointain à présent. Finalement, malgré ses presque quatre ans d'inactivité à se cacher chez la famille de Gaëlan, il ne se révélait pas si rouillé qu'il l'aurait craint. C'était rassurant.
Soudainement, des sons de pas se rapprochant de sa position le tirèrent de ses pensées et de sa rêverie fascinée face aux bibelots onéreux. Réagissant vivement dans une légère précipitation, comme toujours, il grimpa sur le divan et sauta depuis le dossier pour s'agripper au lustre de ses mains et de ses jambes. Qui que soit les personnes à qui appartenaient ces démarches, elles ne penseraient certainement pas à lever les yeux vers le plafond, sauf si elles comptaient allumer les chandelles du lustre, quelque chose à laquelle il n'avait pas songé.
Heureusement, on se contenta de refermer la porte du petit salon qu'il avait laissée entrouverte. Dès qu'aucun pas ne fut audible, il lâcha le lustre, qui n'aurait peut-être pas davantage supporté son poids.
Forcer la serrure de la porte donnant sur le balcon ne lui demanda que quelques secondes, même dans l'obscurité.
Comme il l'avait constaté, il était face aux fenêtres dépourvues de barreaux du troisième étage de la prison. La différence de hauteur se comptait en quelques centimètres aisés à combler avec un saut.
Se hissant sur la rambarde, il se ramassa sur lui-même, repliant son mètre quatre-vingt-dix, puis, détendant soudainement ses membres, il bondit. Les fenêtres éclairées de la prison se rapprochèrent alors que Nigel tendait les bras pour se saisir d'un rebord, qu'il n'atteignit pas. Il lui manquait un bond mètre pour se suspendre à la façade et la gravité agit.
La chute ne dura pas, courte de seulement quelques mètres, et Nigel s'écrasa durement au sol. L'impact expulsa tout l'oxygène de ses poumons et fit douloureusement vibrer ses os à l'intérieur de son corps.
Visiblement, il n'avait pas pris en compte la largeur de la rue qui séparait la prison de la demeure au balcon, qui se révélait donc trop importante pour être franchie d'un seul bond. Nigel n'avait jamais été doué pour évaluer les distances, à l'inverse d'Abélianne. La jeune femme avait toujours su mener ce genre d'observations et de réflexions.
Ses dents acérées enfoncées dans ses lèvres pour retenir le cri de douleur qui montait, il se redressa. La souffrance qui se répandait en ondes depuis son bras lui indiquait qu'il était probablement brisé à cause de cet atterrissage imprévu et catastrophique mais il ravala la flopée de jurons qu'il aurait souhaitée hurler.
Même si son plan d'entrer en passant par ce balcon avait lamentablement échoué, l'opération de sauvetage n'était pas compromise.
Avec peine, il s'efforça de se relever malgré les douleurs qui parcouraient l'ensemble de son corps dans des grognements.
Des démarches synchronisées qui se rapprochaient de sa position, appartenant certainement à des gardes en patrouille, probablement plus nombreuses dans les environs de la prison, une autre chose à laquelle Nigel n'avait pas pensé, le poussèrent à se presser de disparaître dans une ruelle entre les habitations modestes avant de se faire surprendre. Il se dissimula derrière un mur, drapé dans les ombres, avant l'arrivée des soldats dans la rue.
Appuyé contre les pierres, il tint son bras blessé, un goût de sang dans la bouche. Le temps que la patrouille s'éloigne lui permit de se remettre un peu. Les lèvres toujours fermement scellées par ses longues canines, il replaça son os brisé en place. Déchirant sa chemise, il s'en servit pour maintenir la fracture.
Pour l'instant, ça suffirait amplement le temps de secourir Manolis. Grâce à sa nature partiellement vampirique, Nigel était bien plus résistant que les humains normaux et sa capacité de régénération s'avérait bien pratique lorsqu'on était mercenaire, ce qu'il n'était plus réellement depuis presque quatre ans, cependant, pour guérir complètement, il aurait besoin de boire un peu de sang, humain de préférence. Peut-être que Gaëlan l'autoriserait à le mordre. Nigel n'aimait pas prendre de sang à son amant, craignant de le blesser, mais il avait le sang le plus délicieux qu'il n'avait jamais goûté.
Dès que le bruit des pas de la patrouille s'estompa, le jeune homme escalada la façade de la construction modeste derrière laquelle il se cachait en ménageant son bras blessé pour se hisser sur son toit. L'angle sur les fenêtres du troisième étage ne convenait absolument pas.
N'abandonnant toujours pas, il bondit sur le toit de l'habitation voisine sans s'écraser au sol cette fois, ce qui soulageait un peu son égo qui souffrait certainement plus que son corps de cette chute.
Son agilité et sa souplesse lui permirent de recommencer, malgré quelques difficultés à cause de sa blessure, jusqu'à trouver l'angle adéquat.
Se campant soigneusement sur les tuiles malgré la pente du toit, il sortit sa corde de sous sa cape et y suspendit son grappin. Le faisant habilement tournoyer, il le lança sur la façade de la prison. Trouvant une prise, il s'assura de sa solidité en tirant dessus à plusieurs reprises. Dès que ce fut fait, il bondit en direction de la prison, accroché à la corde. Cette fois, il atteignit la façade sans incident.
A part la perte de temps, sa chute n'avait pas été si lourde de conséquence.
Grimpant à la corde jusqu'au troisième étage, il lutta plusieurs minutes pour forcer l'une des fenêtres, suspendu avec son bras parfaitement valide. La fenêtre s'avérait plus solide que les portes de la demeure au balcon mais les battants finirent par céder et il se glissa souplement à l'intérieur.
Récupérant sa corde, il l'enroula soigneusement sur elle-même et la camoufla à nouveau sous les pans de sa cape, effaçant les traces de son passage, mais il préféra laissa la fenêtre entrouverte pour se garder une porte de sortie. Et après, on osait prétendre qu'il était incapable de prévoir les choses ou de réfléchir sur le long terme.
A présent entré, Nigel reporta son regard sur la salle pour examiner les lieux. Heureusement, la modeste pièce était déserte, uniquement meublée de quelques longues tables de bois encadrées de bancs et éclairée par une lanterne dégageant une odeur d'huile. Les gardes venaient certainement ici pour prendre leurs pauses.
La salle ne comportait qu'une seule porte, face à la fenêtre, et Nigel savait donc quel chemin emprunter pour entamer sa visite de la prison à la recherche de Manolis.
Délaissant la lanterne, qui aurait pu l'éclairer dans les couloirs obscurs, pour davantage de discrétion et n'en ayant pas besoin puisque, à force d'évoluer en pleine nuit pour fuir les rayons du soleil ou bien pour ses activités de voleur, il voyait relativement clairement dans l'obscurité, il franchit la porte et déboucha dans un couloir.
Le remontant à pas silencieux, les sens aux aguets, il constata que, en plus de la salle de repos, le troisième étage comportait également une salle d'entrainement, qui en occupait la majorité, une réserve, un vestiaire et le bureau du gérant de la prison, qui recelait probablement de nombreuses informations sur les lieux. Ne s'y attardant pas, Nigel se mit en quête d'escaliers lui permettant de gagner les étages où les prisonniers étaient détenus.
Ne perdant pas de temps à hésiter entre monter ou descendre, le jeune homme s'engagea au hasard dans les marches descendant.
Eluville étant une ville calme essentiellement habitée par des familles aisées, la criminalité y était plutôt basse et les cellules étaient donc majoritairement vides. Détailler les quelques captifs s'avérait donc simple pour Nigel, qui repéra donc facilement et rapidement que Manolis ne se trouvait pas enfermé aux deux premiers étages. Les seuls détenus qu'il trouva étaient des voleurs à la tire, qui sévissaient surtout sur les quais, quelques contrebandiers qui trafiquaient toutes sortes de marchandises, notamment la drogue du rêve irisé, ou des marins encore ivres arrêtés pour des bagarres ou des troubles dans les rues à cause de l'alcool.
Tout ce qu'il y avait de remarquable était l'impressionnante structure de larges poutres de bois qui soutenait le plafond et tous les étages supérieurs au rez-de-chaussée.
Il n'y avait aucune trace de Manolis nulle part. Peut-être n'avait-il finalement pas été conduit à cette prison. Nigel ignorait si il y en avait une autre dans la ville mais il avait encore la possibilité pour que son ami ait été enfermé dans le navire qui le conduirait vers Névinda dès le lendemain. Nigel ne pouvait cependant conclure à aucune certitude mais seulement des hypothèses. Il lui fallait des informations sûres sur le sujet.
Se tournant vers la cellule séparée du couloir par d'épais barreaux, Nigel appela l'homme qui dormait enroulé dans sa couverture de l'autre côté. Se répétant, le jeune homme réitéra son appel en cognant contre les barreaux.
Se réveillant, le captif se redressa pesamment sur ses coudes, encore ensommeillé et déstabilisé de se réveiller dans cet environnement. Se reprenant, il fixa la silhouette sombre de Nigel qui se détachait dans l'obscurité de l'autre côté des barreaux. D'un signe, Nigel l'encouragea à se lever et à venir vers lui.
Les sourcils froncés, intrigués par la présence de quelqu'un qui n'était visiblement pas un garde, l'homme obéit.
Dès qu'il fut face à lui, écrasé par la haute taille de Nigel, ce dernier lui demanda à voix basse :

Le Sang des Déchus - Tome 1 : Sang de Mercenaires [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant