Chapitre 28 - La ville fantôme

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Une fois à l'extérieur, les effets de vapeurs de mélandrie s'estompèrent, les hallucinations disparurent et Lysange, Ysandre et Gaëlan reprirent lentement contact avec la réalité.
Nigel avait dû attendre qu'Ysandre revienne à lui dans les jardins en friche, même si l'esprit du jeune homme ailé restait embrouillé, ne pouvant transporter trois personnes à lui seul. Dès que ses jambes avaient pu le supporter, il avait soulevé Lysange pendant que Nigel s'était chargé de Gaëlan en larmes et ils s'étaient éloignés du sinistre bâtiment.
A présent, ils cherchaient à se remettre, installés dans l'herbe grasse entre Sémoth et les falaises. L'odeur d'iode qui montait depuis l'océan les aidait à renouer le contact avec la réalité et à apaiser leurs pensées noueuses ainsi que leurs émotions exacerbées.
Nigel leur avait raconté ce qu'il s'était passé et, ensemble, ils avaient conclu que toutes les préparations à base de mélandrie qu'on avait laissé sur place à l'abandon du sanatorium, avaient créé des émanations qui les avaient affectés. L'effet n'avait cependant pas été suffisamment puissant pour entrainer l'état amorphe, qu'on retrouvait par exemple avec le rêve irisé, mais bien assez pour causer les hallucinations dont ils avaient souffert. D'après Ysandre, les doses de mélandrie avaient probablement été étudiées pour réveiller les blessures refoulées des patients de manière à ce qu'ils puissent les affronter et en guérir, une méthode sur laquelle il nourrissait de certains doutes, surtout après l'avoir expérimentée.
Seul Nigel avait été épargné, car il avait masqué son nez et sa bouche, incommodé par l'odeur prenante ou bien car il avait réglé ce qu'il avait à régler avec ses traumatismes et qu'il les avait surmontés il y avait déjà longtemps, si il en avait déjà réellement souffert un jour.
Quant aux autres visiteurs de l'ancien sanatorium, il s'agissait certainement de petits trafiquants qui recherchaient ces mêmes produits à base de mélandrie pour les revendre. Une confrontation avec eux aurait rapidement dégénéré. Nigel avait eu la bonne réaction en préférant se dissimuler. Ce dernier s'en trouvait surpris, n'ayant pas l'habitude que ses réflexions conduisent à une issue positive.
En revanche, ses compagnons approuvaient nettement moins la deuxième décision que le jeune homme avait prise dans le bâtiment abandonné, celle de les assommer. Pendant qu'ils tentaient de se reprendre, ils ignoraient si leur migraine était une séquelle de leur intoxication à la mélandrie ou une conséquence des coups portés par Nigel.
Le mal de crâne demeurait cependant le plus simple à gérer après cette détestable expérience dans l'ancien sanatorium. Même après quelques heures loin des vapeurs hallucinogènes, les délires qui étaient venus les hanter restaient présents dans leur esprit, à les tourmenter.
Gaëlan ne pleurait plus mais il continuait à renifler, les genoux remontés contre sa poitrine et serrés contre lui. Le jeune noble avait triste allure avec ses vêtements salis, ses cheveux couverts de poussière et décoiffés et les marques de larmes sur ses joues. Nigel avait tenté de l'aider à s'épousseter et à réajuster sa tenue mais il l'avait repoussé doucement, le visage détourné et les dents enfoncées dans sa lèvre inférieure.
Assise à quelques pas de lui, Lysange ne desserrait pas les dents, les mâchoires et les poings contractées. Renfermée sur elle-même,elle semblait encore plus distante et inatteignable qu'à l'accoutumée, comme si elle avait encore davantage épaissi la carapace derrière laquelle elle demeurait déjà perpétuellement à l'accoutumée. Son seul commentaire sur l'incident avait été qu'elle se trouvait vraiment stupide d'avoir cru une hallucination, sans précision sur la nature des siennes, puis elle s'était refermée, comme à son habitude cependant, elle ne parvenait pas à camoufler l'ombre dans son regard.
Le plus contrariant pour elle était certainement de s'être infligé cela pour rien puisque, de toute évidence, Abélianne n'était pas retourné dans le sanatorium depuis que Ysandre et Manolis l'en avaient sortie.
Seul Ysandre avait partagé avec les autres ce qu'il avait vu et ne s'en laissait pas affecter, souriant. Même si Nigel l'avait trouvé dans un état plutôt lamentable dans l'ancien laboratoire, il s'était rapidement remis puisqu'il affirmait que, si il s'était d'abord laissé prendre par son délire, avec quelques réflexions, il paraissait évident que sa sœur n'aurait jamais pu lui dire de telles choses. Ses dernières volontés avaient été qu'il garde le sourire, qu'il vive pleinement sa vie pour lui-même soit heureux alors jamais elle ne lui aurait reproché de l'avoir abandonnée, d'avoir trouvé une nouvelle famille, au contraire.
Malheureusement, Lysange et Gaëlan ne jouissaient visiblement pas des mêmes certitudes. C'était les doutes et les remords qui les rongeaient.
Face à eux, Ysandre cherchait à les encourager à ne plus faire cas des hallucinations vécues dans le sanatorium abandonné avec sa bonne humeur coutumière, son sourire lumineux et ses plaisanteries, sans grand succès. De son côté, Nigel ne savait pas vraiment que faire et s'en désolait, surtout pour Gaëlan. Le voir dans un état pareil le heurtait douloureusement, il souhaitait faire quelque chose pour le soutenir, mais il craignait de commettre une maladresse, une de plus, qui aurait empiré les choses. Sans compter que Gaëlan ne semblait pas vouloir l'approcher alors il demeurait les bras ballants.
Soudainement, Ysandre s'interrompit et tourna son regard vers l'ouest, au-delà de l'horizon, l'expression subitement concentrée, puis son sourire s'épanouit à nouveau sur son visage avec un air victorieux.
Son silence soudain fut suffisant pour que Lysange pose enfin les yeux sur le jeune homme.
Sortant la carte de Thamarèthe qu'ils avaient dans leur sac, il annonça,jubilant à moitié :

Le Sang des Déchus - Tome 1 : Sang de Mercenaires [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant