Chapitre 30 - Les marais de Nohamm

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Lorsque Lysange s'était plainte en appelant ironiquement les marais de Nohamm l'un des endroits les plus charmants de Thamarèthe, elle était encore loin de la réalité.
La région humide et bourbeuse recouvrait tout le nord de Thamyre et une partie du nord-ouest de Taïfyne, où elle se transformait en un réseau de lacs entouré de forêt, les Lacs Iluosog. Elle s'étendait jusqu'aux falaises de Nohamm, du même nom que les marais, qui les coupaient de l'océan en les empêchant d'être salants.
La zone n'était donc pas exploitée, laissée en friche et sauvage. De mémoire d'homme, personne n'avait jamais cherché à s'y installer. Y croiser cinq silhouettes qui y évoluaient parmi les maigres nappes de brouillard était exceptionnel. Même la faune des lieux paraissait surprise et choquée de voir ces intrus pénétrer leur territoire.
Ils avaient déjà fort peu apprécié les nuits passées dans la Forêt Brumeuse mais celles dans les marais se révélèrent encore pires, entre l'humidité qui les rongeait, alourdissait leurs vêtements et leur chevelure, ne permettait jamais à leurs couvertures de sécher complètement, des insectes, qui venaient les piquer en vrombissant perpétuellement dans leurs oreilles, des bancs de brumes qui s'enroulaient autour de leurs chevilles et qui transformaient les silhouettes tordues des arbres noueux en formes menaçantes qui les faisaient régulièrement réagir pour rien, la boue visqueuse qui collait leur semelle et rendait leurs pas lourds, difficiles à effectuer, les flaques d'eau bourbeuse, stagnante et glacée qui éclaboussait leurs jambes en leur arrachant des frissons, les tourbières dissimulées sous des plaques de mousse spongieuse dans lesquelles ils s'enfonçaient parfois jusqu'aux genoux et dont ils devaient lutter pour s'extraire, des trous d'eau plus profonds qu'ils n'y paraissaient et dans lesquels ils chutaient, de l'odeur agressive de pourriture et de végétaux en décomposition qui flottait dans toute la région, légèrement mêlée à celle de l'iode qui montait des embruns de l'océan de l'autre côté des falaises.
Gaëlan n'avait jamais connu si peu de confort et, alors qu'ils ne se trouvaient dans les marais que depuis quelques jours, ils avaient la sensation que cela durait depuis des semaines tant leur progression était pénible.
Les ailes détrempées d'Ysandre, mouillées par l'humidité, le gardaient au froid, tout comme ses tresses humides, et les éternuements du jeune homme rythmaient leur marche. Gaëlan grelottait et, malgré ses doutes et la distance qu'il préférait instaurer avec lui, il restait serré contre Nigel pour tenter de puiser un peu de chaleur dans ce contact. Sang de Vampire était certainement le moins affecté par l'humidité des marais, habitué à celle qui régnait également sur les quais de Kaleth fréquentés durant son enfance, même si elle demeurait moins pénétrante.
Lysange avançait avec détermination, endurant ces conditions difficiles sans trahir de signe de fatigue. De temps à autres, elle grognait lorsqu'il lui fallait arracher ses bottes de la boue, qui l'engluait jusqu'aux chevilles, ou chasser des insectes qui la prenaient pour repas. Quant à Abélianne, elle grimaçait de dégoût face à ce décor. Elle peinait à supporter les éclaboussures de boue, les taches de moisissures ou d'humidité qui salissaient ses vêtements,qu'elle s'efforçait de nettoyer comme elle le pouvait lors des pauses mais elle ne se plaignait pas, que ce soit du froid, de la fatigue ou de leur progression difficile.
Leurs pauses étaient brèves et peu nombreuses. A cause de leur environnement si peu accueillants, ils peinaient à trouver des endroits où s'installer. Les plaques de mousses vert foncé ou bleutée auraient pu sembler confortables et moelleuses, de véritables coussins naturels, mais elles se révélaient froides et spongieuses, à peine plus agréables que la bourbe dégageant une odeur de décomposition.
A la nuit tombée, ils étaient cependant bien forcés de s'arrêter. Le manque de visibilité, déjà problématique en journée à cause des bancs de brume ou des lianes moussues tombant des arbres qui formaient de véritables rideaux qu'il leur fallait régulièrement écarter, qui se renforçait avec l'obscurité de la nuit, les empêchait de poursuivre leur progression. Même en pleine lumière du jour, ils butaient sur des obstacles, notamment des branches ou des pierres dissimulées sous la boue ou dans les étendues d'eau stagnantes.
Nigel avait chuté dans la bourbe après avoir trébuché sur un tronc mort en décomposition, qui vola en quelques éclats humides. Evidemment, le jeune homme n'avait pas eu de moyen de se nettoyer. Des traces de tourbe salissaient son visage et elle raidissait également ses vêtements, qui dégageaient une odeur désagréable.
Malgré leur empressement à en finir avec la traversée de cette région et leur manque d'entrain à y effectuer une quelconque halte, surtout de plusieurs heures, ils avaient déjà passé trois nuits dans les marais de Nohamm. Leurs couvertures ne séchaient jamais totalement à cause de l'humidité, ce qui les rendait lourdes, poisseuses et incapables de leur procurer la moindre chaleur, les laissant grelotter toute la nuit.
Malgré tous leurs efforts pour dresser leur campement au meilleur endroit et le rendre salubre, ils finissaient toujours par dormir roulés en boule dans la bourbe. Leurs couvertures en étaient tellement couvertes qu'on ne pouvait plus en distinguer la couleur initiale.
Le seul avantage de cet environnement était qu'ils ne manquaient pas de bois et n'auraient donc pas besoin d'entamer les réserves qu'ils transportaient avec eux cependant, le combustible pour leur feu s'avérait tellement détrempé, gorgé d'humidité, que l'enflammer relevait de la véritable bataille chaque soir et les flammes mourraient trop rapidement.
L'autre problème qui se posait était la gestion des vivres. Même si chacun en avait dans son sac, ils diminuaient trop rapidement, ne trouvant rien sur place. Leur progression difficile exigeait beaucoup d'énergie, qu'il leur fallait ensuite reconstituer en mangeant plus qu'à l'accoutumée.
En général, ils les économisaient en puisant dans les cours d'eau qu'ils rencontraient et chassaient pour avoir de quoi manger mais,dans les marécages, ces possibilités étaient fortement réduites.L'eau bourbeuses et stagnante, pleine de vase, d'insectes et de petites algues vert vif qui flottaient à sa surface, les aurait rendus malades à la moindre gorgée, ce dont ils n'avaient nullement besoin. Quant à chasser, la seule faune qui semblait peupler les marais, exceptés les insectes, était des ragondins qui se pressaient de fuir à leur approche, traversant les étendues d'eau pour disparaître dans des terriers. Pour l'instant, personne n'avait le cœur ni l'envie de les chasser. Certainement changeraient-ils d'avis lorsqu'ils verraient le fond de leur réserve.
Leur périple dans les marais touchait heureusement prochainement à sa fin. Ils avaient franchi la frontière entre Thamyre et Taïfyne dans la matinée et il leur restait encore quelques heures pour marcher avant de se résoudre à la pénible halte de la nuit.
Les intuitions d'Ysandre leur confirmaient qu'ils avançaient dans la bonne direction. Au moins, ils ne réalisaient pas cet éprouvant voyage pour rien. A présent, il se dirigeaient vers l'est de Taïfyne et vers la région des Lacs Iluosog. Dans quelques jours, Torrie serait parmi eux.
Dans cette partie des marais, il y avait de nombreuses zones émergées, plus que précédemment. Elles formaient comme des langues d'eau, larges de quelques mètres, entre quelques îlots de terre boueuse. Les traversant, tous cinq avaient de l'eau plus haut que les chevilles et l'eau entrait dans leurs bottes et mouillait leur pantalon. Les éternuements d'Ysandre et les frissons de Gaëlan en redoublaient.
Le regard de Lysange avisa quelques ridules à la surface de l'eau, à quelques mètres d'eux. La jeune femme grommela tout bas, agacée de surréagir de la sorte, alors qu'il ne s'agissait de toute évidence que d'un ragondin qui s'éloignait, effrayé par leur passage, comme tous les autres. Depuis qu'ils se trouvaient dans les marais, la jeune femme s'apprêtait à générer son fouet ou son arc dès qu'elle apercevait une silhouette, qui se révélait toujours n'être que des troncs enroulés dans la brume. La légère luminescence bleutée que produisait un lichen jouait également un rôle dans ces fréquentes confusions.
Lysange ne releva donc pas réellement ce déplacement dans l'eau et poursuivit son chemin à la suite des autres, fermant la marche, en s'efforçant de produire le moins d'éclaboussures possible avec ses pas.
Devant elle, Abélianne se figea subitement en tendant un bras devant elle, prévenant les autres qu'il se passait quelque chose. S'arrêtant à leur tour, Gaëlan, Nigel et Ysandre se retournèrent vers elle.
Avertissant ses camarades, la jeune femme déclara :

Le Sang des Déchus - Tome 1 : Sang de Mercenaires [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant