Assis dans l'unique pièce que comportait leur modeste maison située dans un quartier pauvre de Tahorette, sur un mince coussin rembourré de paille, Ysandre écoutait d'une oreille distraite les recommandations que ses parents adressaient à sa sœur ainée, Nanerle, tout en suivant leurs déplacements agités de ses yeux gris clair.
Installée derrière son cadet, dont elle brossait la chevelure déjà impressionnante pour ses six ans, la jeune fille de douze ans acquiesçait distraitement à chacun des conseils formulés par ses parents. Elle les avait tellement entendus qu'elle les connaissait par cœur et elle avait l'habitude de s'occuper d'Ysandre. D'ailleurs, elle l'élevait d'ailleurs plus que leurs parents.
Ces derniers travaillaient tant pour rapporter le peu de pain qu'ils mangeaient chaque jour qu'ils n'avaient guère de temps à consacrer à leurs enfants. Trouver un emploi qui garantissait une existence confortable s'avérait fort difficile à Tahorette alors leurs parents s'épuisaient à la tâche pour nourrir leur famille.
Tous ces détails échappaient à Ysandre. Du haut de ses six ans, tout ce qu'il voyait était que ses parents étaient très peu présents auprès de lui, contrairement à Nanerle. Cette dernière était davantage une mère qu'une sœur à ses yeux. Elle était celle qui reprisait ses vêtements, qui lui cuisinait la majorité de ses repas, qui le bordait, qui le consolait après ses cauchemars, qui le lavait, qui lui racontait des histoires, qui lui inventait des jeux auxquels elle participait et qui le coiffait. Pour Ysandre, elle était véritablement le centre de son petit monde d'enfant.
Avant de franchir la porte de leur modeste habitation, à la suite de son épouse, leur père se retourna vers eux en observant plus particulièrement Ysandre et il ordonna à Nanerle de défaire les tresses de son frère en lui rappelant qu'il était un garçon.
Les deux enfants échangèrent des moues contrariées et déçues. Nanerle avait toujours envié la chevelure aux épaisses boucles couleur chocolat d'Ysandre, déjà longue et épaisse malgré son jeune âge, elle qui avait de fins cheveux châtains, et elle se plaisait à le coiffer, même si elle lui confectionnait des coiffures plutôt féminines.
La porte se referma derrière leurs parents alors que la nuit tombait lentement sur Tahorette.
Dès que le battant se fut refermé, Nanerle vérifia qu'il était bien verrouillé puis elle bloqua également les fenêtres, les épaules légèrement contractées. Ysandre ne pouvait pas encore avoir conscience de la tension qui s'emparait de la ville avec l'arrivée du soir.
Tahorette n'était pas particulièrement sûre de jour mais les choses empiraient toujours à la nuit tombée. C'était souvent à cet horaire que les bandes rivales réglaient leurs comptes. Il y avait également de nombreux vols. Beaucoup de personnes étaient poussées par la pauvreté qui régnait sur Tahorette mais les choses s'avéraient encore plus compliquées pour les habitants qui s'efforçaient de rester sur le droit chemin, comme les parents d'Ysandre et Nanerle. Ces derniers temps, l'angoisse avait augmenté dans les rues de Tahorette. A cause de plusieurs arrestations récentes par les autorités, les trafiquants qui sévissaient en ville se montraient de plus en plus hargneux et violents. Sans compter que les quelques cas de peste du souffle qui s'étaient déclaré ces derniers mois ne contribuaient pas à alléger l'atmosphère en ville.
Nanerle le savait mais elle s'arrangeait toujours pour que ces préoccupations n'impactent par sur son attitude quotidienne pour ne pas inquiéter Ysandre. Elle souhaitait qu'il conserve son innocence et son insouciance d'enfant aussi longtemps que possible.
Leur soirée se déroula comme toutes les autres : tranquille et joyeuse. Obéissant à leur père, Nanerle défit les tresses d'Ysandre, qu'elle remplaça par des chignons comme il le réclama, elle lui prépara un repas aussi consistant que possible avec le peu qu'ils avaient dans leur garde-manger pour l'élaboration duquel le garçon l'aida, le laissa remporter leur bataille de chatouilles puis elle lui raconta des histoires, assise au bord de sa paillasse, jusqu'à ce qu'il s'endorme. Ce qu'il préférait était les légendes qui parlaient des anciens peuples déchus. Sans compter que personne ne les racontait aussi bien que Nanerle. En vérité, personne d'autre ne lui avait jamais raconté des histoires mais ça ne l'empêchait pas de penser que sa sœur était la meilleure conteuse de Thamarèthe.
Malgré la pauvreté de leur foyer, Ysandre était heureux, surtout grâce à sa sœur aînée.
Leur routine fonctionnait parfaitement : Nanerle s'occupait d'Ysandre, qui n'avait rien d'autre dont se soucier que de grandir sereinement, leurs parents se montraient avant de retourner au travail, déposant le peu d'argent qu'il gagnait, jusqu'au jour où ils ne revinrent pas.
Au départ, Ysandre ne s'interrogea pas, ayant coutume des absences de ses parents puis il commença à s'en étonner, surtout qu'il se souvenait que, il y avait quelques nuits, il y avait eu une forte agitation dans le quartier, qui l'avait réveillé et avait effrayé Nanerle. Il remarqua surtout que sa sœur semblait triste. Devant lui, elle affichait toujours son sourire éclatant mais Ysandre l'entendait pleurer la nuit, comme ils partageaient la même chambre, séparée du reste de la maison par une tenture usée et rapiécée. Quelque chose n'allait pas.
Après quelques jours, il questionna sa sœur pour lui demander où étaient leurs parents. A cette interrogation enfantine toute innocente, les yeux de Nanerle se remplirent de larmes et Ysandre se pressa de s'excuser, se sentant coupable pour l'avoir fait pleurer. Le prenant dans ses bras, Nanerle lui assura que ce n'était pas de sa faute. Tâchant de se reprendre, elle fit s'asseoir Ysandre en le gardant contre elle et elle lui expliqua comme elle le put que leurs parents avaient été forcés de partir dans un endroit très lointain dont ils ne pouvaient pas partir. Même si il n'avait jamais cru avoir un attachement profond avec ses parents, Ysandre fut particulièrement attristé par cette annonce et il pleura un long moment entre les bras de sa sœur, partageant ses larmes. La maison paraissait bien vide à présent sans la présence de leurs parents. Quelque chose manquait, quelque chose d'important, même si Nanerle faisait tout son possible pour qu'il le remarque le moins possible, cependant, le garçon se demandait si il était vraiment impossible pour leurs parents de revenir.
Il commença donc à les guetter par la fenêtre de leur masure durant des heures mais il ne les aperçut pas.
Peut-être tout simplement qu'ils ne voulaient plus les voir, Nanerle et lui, et qu'ils avaient préféré les abandonner. Cette idée était très douloureuse, même si Ysandre ne comprenait pas ce qui causait ce creux dans sa poitrine.
Peu à peu, leur absence se fit moins pesante et le chagrin de Nanerle s'estompa, tout comme celui d'Ysandre.
Quelques jours après, Nanerle quitta elle aussi régulièrement la maison pour travailler, quelqu'un devant se charger de rapporter un peu d'argent dans leur foyer, puisque leurs parents ne s'en occupaient plus.
En grandissant, Ysandre comprit que leurs parents avaient été tués lors de cette nuit agitée. Des trafiquants de rêve irisé les avaient confondus avec des rivaux qu'ils souhaitaient éliminer. C'était tellement stupide que ça aurait pu être drôle si Ysandre et Nanerle n'avaient pas perdu leurs parents dans toute cette histoire.
Nanerle avait trouvé un emploi en tant que lavandière, dans une laverie en périphérie de la ville, où les clients croyaient parfois trop souvent que les jeunes filles offraient davantage de services que le simple nettoyage du linge, mais elle endurait tout cela sans perdre son beau sourire lumineux.
Dès qu'il fut suffisamment âgé, Ysandre commença à travailler à son tour pour soulager sa sœur. A dix ans, il jouait les garçons de courses pour les marchands de la ville en échange de quelques petites piécettes. Les journées lui semblaient bien longues et pour peu de résultats, pendant que Nanerle trimait tout autant.
Heureusement, ils pouvaient compter l'un sur l'autre et, malgré le labeur, leur quotidien demeurait joyeux, notamment grâce aux efforts de Nanerle. La pauvreté paraissait secondaire.
Ysandre s'efforçait de prendre exemple sur sa sœur, oubliant quand ça n'allait pas, ne se plaignant pas malgré les difficultés, souriant toujours et ne trouvant de l'importance qu'aux rires de ses proches, mais il doutait de pouvoir être un jour aussi lumineux qu'elle.
A présent plus robuste de haut de ses douze ans, le garçon commençait à songer à trouver un autre emploi que de courir dans tous les sens, un travail qui lui aurait garanti une meilleure paye, pour soulager sa sœur. Ces derniers temps, il trouvait qu'elle semblait plus fatiguée qu'à l'accoutumée. Même si elle continuait à sourire, comme toujours, il avait remarqué qu'elle avait comme l'esprit ailleurs ou embrumé et il l'avait entendue étouffer des quintes de toux dans son sommeil à plusieurs reprises.
Occupée à cuisiner, elle réagissait de quelques rires aux plaisanteries d'Ysandre mais seulement pour la forme, sans les écouter véritablement.
Soudainement, elle se crispa, comme si elle cherchait à résister à quelque chose. Courbée en deux, elle se plaqua une paume sur la bouche. La toux la secoua alors qu'elle luttait pour respirer.
Criant son nom, affolé, Ysandre se précipita auprès d'elle pour la soutenir. Après de longues secondes, elle se reprit et tenta de repousser doucement Ysandre en lui assurant que tout allait bien. Ne la croyant pas, son sourire crispé ne le dupant pas, le garçon saisit la main qui masquait sa bouche et des taches sanglantes marquaient sa peau. Nanerle les essuya prestement sur le tissu de sa jupe mais Ysandre les avait aperçues et ce fut suffisant pour qu'il s'affole.
Un bras autour des épaules de sa sœur, il la pressa de question, voulant savoir depuis combien de temps elle souffrait de ces symptômes et si elle lui en dissimulait d'autres mais, au lieu de lui répondre, elle emprisonna son visage et elle lui promit que tout allait bien, qu'il ne devait pas s'inquiéter, néanmoins, son sourire tremblait.
Même si il avait des raisons de douter de ces paroles, Ysandre voulut la croire, ce qu'il se reprocha amèrement car, deux jours après cet incident, Nanerle ne tenait plus debout, clouée au lit par de violentes quintes de toux pourtant, elle continuait à assurer à son frère qu'il n'avait pas à s'en faire, affirmations auxquelles Ysandre demeura sourd cette fois.
La consultation chez un guérisseur, où Ysandre dut trainer Nanerle de force, dilapida leurs maigres économies. Le diagnostic tomba, comme sonnait un glas.
Nanerle avait contracté une variante très rare de la peste du souffle, une forme moins virulente mais plus insidieuse et tout aussi incurable que la plus connue : le malade pouvait survivre plusieurs années, des années à tousser des glaires sanglantes pendant que les poumons pourrissaient lentement. Un sort peu enviable. Aucun traitement satisfaisant n'existait et leur situation modeste aurait rendu toute solution miracle inaccessible.
Toute la charge du bon fonctionnement de leur petit foyer pesait à présent sur les épaules d'Ysandre, qui refusait que Nanerle retourne travailler, pas alors qu'elle était si faible. De toute manière, son employeur l'avait congédiée dès que la nouvelle de sa maladie s'était répandue, par peur qu'elle ne contamine ses autres employées ou, pire, ses clients.
En plus de prendre soin de sa sœur comme il le put, Ysandre abandonna son rôle de garçon de course pour aller travailler dans les mines qui creusaient le Massif des Eaux Secrètes.
Les mineurs recherchaient des personnes fines pour se glisser dans certaines galeries et boyaux pas encore aménagées pour explorer les entrailles des montagnes en quête de veines de minerais.
Il s'agissait d'un milieu d'hommes bourrus et durs à la tâche dans lequel Ysandre ne se reconnaissait pas vraiment et où ses longs cheveux nattés lui valaient régulièrement des remarques sur son apparence soi-disant trop féminine mais il n'y accordait que peu d'importance. Sa coiffure était le meilleur instant de douceur et de complicité avec sa sœur qu'il pouvait encore trouver cependant, des regards qu'il surprenait parfois sur lui semblaient indiquer que, pour certains, ces remarques dépassaient le stade de la moquerie. Avec son visage aux traits plutôt délicats, son corps fin, sa peau rosée et sa longue chevelure savamment nouée, son apparence d'adolescent de quatorze ans pouvait paraître attirante pour des hommes qui passaient leurs journées sous terre avec d'autres hommes.
Heureusement, il avait rapidement compris que, pour survivre dans un tel environnement, il fallait savoir se servir de ses poings et son corps fluet ne laissait pas soupçonner sa force.
Le plus pénible restait les trajets. Le Massif des Eaux Secrètes se situait à plusieurs heures de charrette de Tahorette et il lui fallait effectuer ce long chemin tous les jours, couvert de terre et dans les odeurs de sueur pour le retour mais ces heures lui donnaient l'occasion de prier, assis au fond de la charrette, les mains jointes. Ses compagnons de labeur le trouvaient bien pieu et le surnommaient même ainsi en une autre moquerie. Ils ignoraient qu'il ne priait pas nécessairement Eévhya mais n'importe qui qui aurait été disposé à l'écouter. Si il les avait connues, il aurait fait appel à toutes les divinités de Thamarèthe. A défaut, il s'en remettait également aux anges, dont Nanerle lui racontait toujours les légendes malgré ses quintes de toux, toujours plus virulentes. D'après les mythes, cet ancien peuple aurait le don de guérir parmi d'autres capacités.
Lorsqu'ils l'avaient consulté, il y avait déjà quelques années, le médecin leur avait dit qu'ils ne pouvaient que prier alors c'était ce que Ysandre faisait avec ferveur cependant, cela ne changeait rien. L'état de Nanerle ne s'améliorait pas et la jeune fille s'enfonçait toujours plus dans la maladie.
Ysandre s'en voulait que ses prières ne portent pas leurs fruits, il s'en voulait d'abandonner Nanerle durant des heures pour aller travailler, il s'en voulait de ne pas avoir davantage pris soin d'elle lorsqu'il était jeune et de l'avoir laissée tomber malade, il s'en voulait même d'être en bonne santé et de ne pas être malade à sa place.
Cette résistance devenait d'ailleurs étrange. Malgré sa fréquentation plus qu'assidue d'une malade, il n'avait toujours constaté aucun symptôme en plusieurs années.
Dans le quartier, où tous connaissaient la situation de Nanerle, les secrets s'éventaient rapidement, on les évitait par peur de la contagion mais on commençait à se méfier d'Ysandre, que la maladie, à la réputation pourtant si virulente, semblait miraculeusement épargner, comme si il y avait quelques maléfices sous cette chance inexplicable. Le jeune homme ignorait par quoi ou par qui il avait effectivement été béni pour échapper à la maladie mais il s'en voulait de ne pas savoir pour ne pas pouvoir en faire profiter Nanerle.
Malgré tout cela, il ne cessait pas de sourire, de rire et de plaisanter, tout comme Nanerle. D'ailleurs, tout ce que cette dernière exigeait de lui était qu'il continue à lui offrir son sourire.
Les moments où il ne souriait pas se comptaient sur les doigts d'une main, le plus souvent, c'était lorsqu'il rampait dans un boyau étroit dans les mines, comme actuellement.
Les autorités minières souhaitaient pousser l'exploitation plus profondément en s'enfonçant toujours plus sous terre et c'était Ysandre qu'on chargeait d'explorer ces profondeurs.
Le boyau dans lequel il progressait avec maintes difficultés était humide et des filets d'eau glacée ruisselaient le long des parois, rendant la structure fort instable. De toute évidence, les entrailles de la montagne abritaient des poches d'eau souterraines. En tout cas, c'était ce que racontaient les vieilles rumeurs qui avaient donné son nom au massif.
La peau, les vêtements et la besace du jeune homme étaient tellement recouverts de boue qu'il se confondait avec la terre dans laquelle il rampait et le peu de luminosité produite par la petite lanterne qui l'éclairait n'aidait pas.
Heureusement que, après quelques années, il était habitué à ce genre d'environnements ou l'étroitesse du boyau, l'idée des tonnes de terre qui pesaient au-dessus de lui, les difficultés à respirer correctement l'auraient fait paniquer et il aurait fait une crise d'affolement à cause de la peur de l'enfermement. Même l'odeur des galeries ne l'affectait plus guère, même si elle lui piquait toujours autant les poumons.
Le réel problème était que, du haut de ses seize ans, ses épaules commençaient à s'élargir et l'entravaient dans sa progression, même si sa carrure demeurait svelte.
Pour l'instant, il n'avait repéré aucune veine de minerais et il n'avait aucune envie d'avoir ramper dans ce passage étroit sans oxygène pour rien. Si il découvrait une nouvelle veine à exploiter, il pouvait espérer une prime. Cet argent supplémentaire lui aurait servi à acheter des potions pour Nanerle. Aucune préparation ne l'aurait soignée mais elles auraient pu apaiser sa toux et lui auraient accordé un peu de répit.
Un léger tremblement qui ébranla le boyau le tira de ses pensées et il se figea. Le tremblement gagna en intensité et Ysandre lâcha un juron. L'endroit n'était pas sûr et le sol instable.
Reculant sans pouvoir se retourner à cause du manque d'espace, le jeune homme tenta de s'éloigner mais pas suffisamment rapidement. Le sol s'effrita sous son poids et, alors qu'il s'attendait à se retrouver enseveli sous des tonnes de roche et de terre, il chuta. Il eut à peine le temps de pousser un bref cri, plus de surprise que de peur, avant d'atterrir durement.
Sonné, il se redressa sur ses bras tremblants en toussant et crachant, la bouche pleine de terre.
A tâtons, il chercha sa lanterne, qui s'était éteinte en roulant avec lui au sol. Il la trouva non loin de lui, cabossée par la chute mais encore en état de fonctionnement. Fouillant dans son sac, il récupéra son briquet pour l'allumer.
Les contours d'une grotte humide dont le plafond était hérissé de stalactites se dessinèrent autour de lui. Des gouttes d'eau en tombaient, créant un bruit de fond assez agaçant. Les yeux ronds, Ysandre regarda autour de lui, ne s'attendant absolument pas à découvrir une grotte dans les entrailles du massif, en massant sa poitrine rendue douloureuse à cause de l'impact avec le sol rocheux.
Un frisson remonta le long de son échine à cause de l'humidité de l'atmosphère des lieux.
Les lueurs de sa lanterne accrochèrent des reflets qui dansaient sur l'une des parois de la grotte. Intrigué, il s'approcha en prenant garde au sol irrégulier, préférant s'épargner une nouvelle chute.
La roche de la grotte était parcourue de stries d'une pierre laiteuse et blanchâtre à la surface illuminée de reflets irisés et changeants. Jamais il n'avait vu quelque chose de semblable, même après plusieurs années à travailler dans les mines, mais ça semblait précieux.
Un sourire se traça sur les lèvres d'Ysandre. La possibilité d'une prime semblait se rapprocher, surtout si il avait bien découvert une nouvelle essence de gemme, comme ça semblait être le cas, mais, pour cela, encore fallait-il qu'il parvienne à quitter cette grotte. Heureusement qu'il était prévoyant et transportait de l'équipement dans son sac, même si celui-ci compliquait parfois sa progression dans les boyaux.
Avant de s'en occuper, il sortit le piolet passé à sa ceinture et l'abattit sur la veine de pierre laiteuse.
Pour prouver qu'il avait découvert quelque chose, il devait ramener une preuve. Lorsqu'il ramassa les éclats, projetés au sol par son coup de piolet, un courant électrique lui parcourut le bras. Par réflexe, il écarta sa main en s'attendant presque à y découvrir une brûlure, mais il n'en était rien. Cette roche abritait quelque chose, il y avait quelque chose à l'intérieur, même si Ysandre aurait été bien incapable de définir quoi.
Se reprenant, il enfouit les fragments au fond de son sac puis effectua quelques pas dans la grotte pour l'explorer.
Si cette roche était bien aussi particulière qu'il le pressentait instinctivement, il y avait peut-être d'autres choses à voir.
Il déambula dans la faible luminosité émise par sa lanterne sans rien repérer de plus que des flaques dues aux infiltrations durant plusieurs minutes puis l'étroit cercle de lumière tremblotante accrocha de nouveau quelque chose.
Les yeux ronds de stupéfaction d'Ysandre se posèrent sur la serrure rouillée d'un coffre qui reflétait faiblement les lueurs de sa lanterne. Parmi toutes les hypothèses qu'il aurait pu imaginer, jamais il n'aurait pensé découvrir la trace d'un passage humain. D'autres personnes étaient déjà venues ici avant lui, comment et pourquoi ?
Brûlant de curiosité, Ysandre s'agenouilla devant le coffre d'assez belle taille et voulut poser sa lanterne dessus pour étudier la serrure et trouver un moyen de la forcer mais, à peine posa-t-il la main sur le couvercle que celui-ci se désagrégea en copeaux de bois humides qui s'écrasèrent entre ses doigts. Le bois était tellement vermoulu qu'il tombait littéralement en morceaux. Au moins, Ysandre n'aurait pas besoin de batailler pour trouver un moyen de l'ouvrir.
Ecartant les fragments vermoulus, il dévoila le contenu du coffre. La lance argentée aux gravures dorées sembla luire sous la lumière de la lanterne. Admiratif, Ysandre la prit en main et il la découvrit bien moins lourde que ce à quoi il s'attendait. L'arme était étonnamment bien conservée, surtout pour les conditions offertes par la grotte, et pas une trace de rouille n'en ternissait l'éclat.
Malheureusement, Ysandre ne pouvait en dire autant du reste du contenu du coffre, qui se composait de vêtements tellement rongés par l'humidité que le jeune homme ne pouvait définir leur couleur ou leur forme initiales, ainsi que de vieux livres à peine en meilleur état. Leur couverture dégageait l'odeur de la moisissure qui rongeait leurs pages à tel point que certaines ne pouvaient plus être séparées. L'encre s'était effacée par endroit et il ne subsistait plus grande chose des illustrations.
Certains passages demeuraient néanmoins lisibles avec quelques efforts et Ysandre découvrit, encore une fois non sans surprise, que tous traitaient du même sujet : les peuples déchus et plus particulièrement les anges.
Comment de telles choses avaient-elles pu se retrouver dans cette grotte ?
Intrigué par tout cela, Ysandre rangea les deux volumes en meilleur état dans son sac, sous ses outils, et passa la lance dans son dos pour la dissimuler sous ses vêtements.
Les histoires sur les peuples déchus l'avaient toujours fasciné et peut-être y aurait-il dans ces ouvrages des légendes que Nanerle ne connaissait pas encore.
Jugeant qu'il s'était suffisamment attardé dans la grotte, le jeune homme sortit son grappin et, éclairé par sa lanterne posée à ses pieds, il s'efforça de viser le trou irrégulier qu'il avait fait dans le plafond en le traversant. Il dut s'y reprendre à plusieurs reprises pour trouver une prise qui ne s'effondrerait pas sous son poids.
A nouveau dans le boyau, il le remonta en rampant jusqu'à rejoindre l'une des galeries principales.
Le responsable de ce secteur ne lui laissa même pas le temps de s'épousseter avant de venir vers lui pour l'interroger sur son exploration. Taisant ses autres découvertes tant qu'il ignorait quoi en penser, Ysandre se contenta de tendre l'un des éclats de l'étrange roche laiteuse à l'homme, qui fronça les sourcils en l'examinant. Au cas où ils auraient eu de la valeur, il préféra garder les autres pour lui. Un peu d'argent supplémentaire lui aurait permis d'améliorer le confort quotidien de Nanerle.
L'ai perplexe, l'homme déclara à Ysandre qu'il allait se renseigner sur cette essence de pierre avant de s'éloigner et cette courte conversation marqua la fin de la journée de labeur du jeune homme.
La lance dissimulée contre son dos lui fit mal durant le trajet en charrette, durant lequel il pria, comme à son habitude.
Comme toujours, il se pressa de rentrer chez lui malgré son sac plus lourd qu'à l'accoutumée.
Nanerle dormait lorsqu'il arriva, épuisée par la maladie. La laissant se reposer, Ysandre se lava comme il le put dans la bassine de bois, coiffa ses cheveux en un chignon tressé, prépara de quoi manger pour lui et sa sœur lorsqu'elle serait réveillée, puis il commença à étudier l'un des ouvrages qu'il avait ramenés des entrailles du Massif des Eaux Secrètes, tout en veillant sur Nanerle.
Ses surprises de la journée n'étant apparemment pas terminées, Ysandre découvrit que ces livres ne ressemblaient pas aux recueils de légendes qu'il avait déjà pu voir mais presque davantage à un témoignage qui parlait de la disparition des anciens peuples. La dimension dans laquelle ils avaient disparu n'était pas réellement décrite mais les pages dévorées par l'humidité paraissaient être un manuel d'instructions pour y accéder. Tout cela n'était-il donc pas que des mythes ? Était-ce réel ? Ysandre pouvait-il y croire ?
Toutes ces questions demeurèrent sans réponse et elles devinrent secondaires lorsque Nanerle remua sur sa paillasse en étouffant des quintes de toux. L'aidant à se redresser pendant qu'elle se réveillait, Ysandre réarrangea les oreillers dans son dos puis il lui raconta le déroulement de sa journée cependant, il préféra une nouvelle fois taire ses découvertes. Après la consultation des ouvrages, il s'en sentait plutôt perturbé et il souhaitait essayer de comprendre un peu plus avant de les partager à quelqu'un. Sans compter qu'il ne souhaitait pas fatiguer Nanerle inutilement avec toute cette étrange histoire.
La soirée ne différa donc pas des précédentes alors que Ysandre feignait que tout était comme à l'accoutumée, son sourire lumineux sur les lèvres.
Durant les jours suivants, Ysandre poursuivit son étude des ouvrages mais seulement une maigre partie s'en révéla lisible. Le plus intéressant qui ressortit de ses lectures était cette méthode qui semblait expliquer comment accéder à cette dimension inconnue mais impossible pour le jeune homme d'en être certain puisqu'une partie de ces instructions manquaient, effacées par le temps et l'humidité. Tout cela lui semblait de plus en plus intriguant.
Tous ces mystères ne changèrent pas le déroulement de sa routine et il continua à gagner les galeries du Massif des Eaux Secrètes aux petites heures du jour.
En cette matinée cependant, alors que l'aurore colorait à peine le ciel au-dessus des sommets, quelque chose changeait de l'arrivée quotidienne des mineurs sur les lieux. Tous remarquèrent immédiatement le soldat en uniforme qui s'entretenait avec le responsable des mines du secteur. Venait-il effectuer un contrôle ?
Ysandre ne s'en soucia guère, conservant son attitude décontractée et souriant, jusqu'à ce que le responsable des mines le désigne à ce soldat en le pointant du doigt.
L'homme se dirigea immédiatement vers le jeune homme qui haussa les sourcils, se demandant ce qu'un soldat pouvait bien lui vouloir. Il ne croyait pas avoir fait quelque chose de répréhensible. Sa surprise augmenta encore d'un cran lorsqu'il avisa l'emblème cousu sur son uniforme : le paon couronné qui symbolisait habituellement Névinda gardait une épée sous les griffes de ses pattes. Cet homme n'était pas qu'un simple soldat mais un membre de la garde d'élite du roi, un corps qui remplissait les tâches les plus délicates confiées directement par Léhodore Cécyly.
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Le Sang des Déchus - Tome 1 : Sang de Mercenaires [Terminé]
FantasíaDans le monde de Thamarèthe, l'humanité prospère depuis la disparition des anciens peuples, dont il ne subsiste plus la moindre trace. Jusqu'au jour où un groupe de mercenaires qui se fait connaitre sous le nom des Déchus commence à faire parler de...