Cette fois, les marins réagirent et leur lame s'entrechoquèrent contre celles des pirates.
S'efforçant de les guider, Gaëlan les entraina à sa suite dans les combats, étant certainement le meilleur bretteur de ce petit groupe.
Le cri du jeune homme avait porté et d'autres membres de l'équipage ailleurs sur le navire se reprirent également. Nigel l'entendit aussi, perché dans les cordages non loin d'une bôme et, même si il ne saisit pas clairement ses paroles à cause de la clameur de l'abordage, il reconnut le timbre de son amant. Constater qu'il ne faisait plus face seul aux pirates mais qu'il était entouré par les marins le rassura et ce fut l'esprit plus tranquille qu'il se hissa sur la bôme. Celle-ci frôlait presque celle du navire des pirates.
Se ramassant sur elle-même, en équilibre, il bondit en déployant tout son corps. Ses doigts se refermèrent sur la voilure rapiécée qui le dissimulait aux regards des pirates. S'y agrippant, il réajusta sa capuche sur son visage pour se protéger du soleil.
Tout en vérifiant régulièrement que personne ne le remarquait, il descendit jusqu'au pont, les sens aux aguets, bien que parasités par le fracas des affrontements sur le navire voisin. De nombreux pirates se trouvaient sur le bâtiment et Nigel manifesta la plus grande prudence dont il était capable tout en savourant l'adrénaline que lui provoquait l'idée que personne ne soupçonnait sa présence.
Un homme passa non loin de lui et il se tapit contre le sol pour davantage de discrétion. Avant qu'il ne se retourne et ne le découvre, Nigel lui bondit sur le dos en lui plaquant une paume sur la bouche. Pressant sa gorge dans le pli de son coude, il l'étouffa lentement jusqu'à ce qu'il perde connaissance et il le laissa s'affaisser à ses pieds.
En quelques rapides réflexions qu'il parvint à mener, le jeune homme comprit qu'il n'aurait jamais l'occasion de neutraliser tous les pirates à bord et qu'il finirait obligatoirement par se faire repérer mais le plus tard aurait été le mieux.
Longeant le bastingage, accroupi derrière, il s'approcha des cordages qui reliaient les deux navires entre eux.
Dégainant l'un de ses poignards, il se redressa subitement en assommant le pirate qui s'apprêtait à se suspendre à l'une des cordes d'un coup de pommeau.
Faisant habilement tournoyer son poignard dans sa main, il le reprit dans le bon sens et commença à sectionner la première corde. Les secousses que cela engendra alertèrent les pirates qui s'y accrochaient et ils avisèrent Nigel qui allait très prochainement les précipiter dans l'océan. Dans des cris, ils avertirent leurs compagnons restés à bord mais Nigel ne s'en préoccupa pas et il trancha le premier cordage avant de s'attaquer à un deuxième alors que les éclaboussures dues à la chute des pirates dans l'océan terminaient de retomber.
Le chanvre était sur le point de céder lorsqu'une douleur fulgurante lui traversa la poitrine et il ploya lourdement vers l'avant sur le bastingage. Quelques secondes lui furent nécessaires pour comprendre qu'un sabre venait de le transpercer de part en part avec une telle force que la lame s'enfonça même dans le bois du bastingage, sur lequel il se retrouvait cloué.
Certainement était-ce ce qu'on nommait une mauvaise posture.
Ignorant comment s'en extirper, il se redressa faiblement, les dents serrées, et lança un regard sur le navire en face, sur lequel il aperçut Lysange.
Percevant le regard de détresse de son frère sur elle, la jeune femme se retourna et lâcha un juron en découvrant la situation de Nigel. Heureusement, Gaëlan ne pouvait pas le voir depuis sa position.
Comptant bien intervenir auprès de Nigel, Lysange se retourna seulement de moitié pour décocher un violent coup de coude en plein visage du pirate qui s'approchait un peu trop d'elle par derrière et elle le repoussa dans un craquement de cartilage.
N'en faisant pas davantage de cas, elle bondit sur le bastingage mais son allonge n'était toujours pas suffisante, même avec son fouet. D'un nouveau bond, elle se rapprocha du navire pirate et de Nigel. La courte chute lui offrit bien assez de temps pour faire tournoyer et claquer son fouet. Les pièces métalliques ouvrirent de profondes plaies sur les gorges, les bras, les poitrines et les épaules des pirates qui se trouvaient autour de Nigel, dont celui qui tenait le sabre qui transperçait le jeune homme. Elle avait éloigné le danger de lui pour quelques minutes, suffisamment pour lui permettre d'agir.
Sans lâcher son fouet, elle referma sa main libre autour d'un des cordages que Nigel n'avait pas encore tranchés. Lançant ses jambes pour les nouer autour de la corde, elle fit lâcher prise à un pirate, qui chuta à sa place.
Agilement, elle rejoignit le bastingage. Tordant à moitié son corps, elle projeta ses jambes en premier par-dessus le bastingage et elle les noua autour de la gorge d'un des pirates qui la guettait pour l'attaquer dès son arrivée sur le pont, stratégie qui se retourna contre lui. Déséquilibré par le poids de Lysange, il tituba de quelques pas en arrière avant de durement s'écrouler sur les planches, entrainant la jeune femme.
Pas étourdie par l'impact de la chute qu'elle avait prévue, elle le plaqua au sol, agenouillée au-dessus de lui en emprisonnant sa tête entre ses cuisses serrées, le bloquant. D'un coup de poing fulgurant en plein visage, elle l'assomma, usant de sa force.
Promenant un large regard circulaire autour d'elle, elle vérifia rapidement la manière dont tournait la situation.
Gaëlan se trouvait à quelques mètres d'elle. Même si il pouvait compter sur l'appui de quelques marins, il était encerclé par les pirates et leur tenir tête semblait devenir de plus en plus difficile.
Se relevant d'un bond, délaissant le pirate inconscient, elle s'approcha de quelques pas avant de brandir son fouet. Les coups qu'elle administra dispersèrent les pirates et attirèrent leur attention sur elle, permettant à Gaëlan de souffler un peu.
Son intervention détourna également l'attention des pirates de Nigel, ce qui lui permet d'agir.
Tâtonnant avec un grognement de douleur, il attrapa la poignée du sabre qui le clouait sur le bastingage et le retira d'un coup sec, se tordant le bras. Malgré la douleur et l'hémorragie, il se retourna en s'appuyant sur le bastingage et découvrit que deux pirates l'attendaient avec l'intention de le neutraliser définitivement. Ses doigts clairs rougis de son propre sang serrés autour du sabre, il balaya l'espace devant lui de la lame et un vif et large coup latéral, qui traça une longue plaie en travers de la poitrine d'un des deux pirates. Plaquant une paume sur sa blessure, il vacilla en arrière.
Le sang afflua à la plaie et son odeur explosa aux narines de Nigel. Avec l'hémorragie, ce parfum lui parut encore plus appétissant et irrésistible qu'à l'ordinaire.
Cédant à cette pulsion purement non-humaine, Nigel bondit sur le second pirate à une vitesse incroyable. L'immobilisant entre ses bras en une prise solide, il plongea ses crocs acérés dans sa gorge en aspirant son sang à grandes gorgées bruyantes sans se soucier des hurlements et des ruades de sa victime. Alors qu'il buvait ce sang, nettement moins savoureux que celui de Gaëlan mais il n'allait pas faire la fine bouche en de telles circonstances, il sentait sa propre hémorragie se tarir et sa blessure se refermer sans lui laisser de séquelle.
Après seulement plusieurs secondes, les membres du pirate devinrent flasques entre les bras de Nigel et il s'affaissa lourdement lorsque ce dernier le lâcha.
Ceux ayant assisté à la scène demeurèrent tellement choqués et effrayés qu'ils restèrent paralysés, le regard exorbité.
S'essuyant rapidement les lèvres d'un revers de la manche, Nigel en profita pour ramasser son poignard et reprendre là où ce sabre l'avait interrompu. Agissant avec rapidité, il sectionna les derniers cordages qui reliaient les deux navires entre eux.
Le signalant à ses camarades sur le pont voisin, il siffla entre ses doigts.
Aux prises avec de trop nombreux pirates, Lysange ne put prendre le risque de se tourner vers Nigel pour identifier les raisons de son appel mais Gaëlan y parvint. Le jeune homme remarqua immédiatement que plus rien ne reliait les deux navires ensemble.
Grâce à Lysange, il jouissait d'un peu de répit dans la bataille. Saisissant celui qu'il avait identifié comme le timonier du navire, il s'élança vers la barre, se frayant un chemin à travers leurs adversaires à grands coups de rapière autour de lui, en expliquant à l'homme que tout allait reposer sur lui pour qu'ils puissent échapper aux pirates en s'éloignant de leur navire.
Obéissant, le marin se saisit du gouvernail pour manœuvrer leur navire mais certains pirates le remarquèrent et ils ne comptaient apparemment pas leur permettre de fuir. Plusieurs hommes se précipitèrent à leur suite sur le gaillard arrière. Se plaçant devant le timonier, rapière brandie, Gaëlan s'apprêta à le défendre pour lui permettre de tous les soustraire aux pirates mais il se trouvait en mauvaise posture. Sur le gaillard arrière, il se retrouvait acculé face à une horde de pirates et, même en déployant tous ses talents de bretteur et en rendant ou parant les coups, il commençait à se faire dépasser.
Heureusement, malgré le nombre de ses propres adversaires, Lysange semblait le surveiller et elle s'aperçut rapidement de sa situation. Encore une fois, elle allait devoir intervenir.
Enroulant son fouet autour de son avant-bras, elle libéra sa main sans lâcher son arme. Esquivant les coups de sabre du pirate face à elle, elle se baissa pour passer sous son sabre et l'atteindre au corps à corps. Lui saisissant le visage à deux mains, elle le tint fermement puis exerça une violente torsion, lui brisant la nuque dans un craquement sinistre.
Avant même que le corps ne termine de s'affaisser à ses pieds, elle reprit la poignée de son fouet en main. Visant la bôme au-dessus d'elle, elle y enroula son fouet, quittant le sol. Se balançant, elle se propulsa vers le gaillard arrière sur lequel elle atterrit en déroulant son fouet de la bôme.
Le faisant tournoyer autour d'elle, elle repoussa les pirates, les attaquant à distance pendant que Gaëlan se chargeait du combat rapproché. A deux, ils parvinrent à tenir tête aux pirates, aidés par le fait que les escaliers menant au gaillard ne laissaient passer que deux personnes de front, et le timonier put manœuvrer.
Le navire commença à s'éloigner de celui des pirates. Le remarquant, la majorité se pressa de regagner son bâtiment, abandonnant leur proie. Continuant à déchainer sa violence et sa rage, Lysange convainquit les derniers pirates récalcitrant de ne pas insister davantage. Une fois qu'ils n'étaient plus poussés par le nombre, ils prenaient pleinement conscience que le véritable danger n'était pas eux. Effrayés par Lysange et Nigel, notamment par la brutalité de la jeune femme, les derniers pirates encore à bord préférèrent sauter à l'eau alors que l'écart se creusaient entre les deux bâtiments.
Le problème était que Nigel se trouvait encore sur celui des pirates. Il n'avait probablement pas pensé à ce détail en terminant de sectionner les cordages et il n'avait pas non plus relevé la distance toujours plus importante qui le séparait de ses compagnons.
Lysange soupira en levant les yeux au ciel. Le jeune homme exigeait une surveillance encore plus attentive qu'un enfant.
Sa voix irritée se mêla à celle, plus affolée, de Gaëlan lorsqu'ils l'appelèrent.
Comprenant, Nigel bouscula un pirate, encore choqué par son acte, de l'épaule puis se hissa dans les hauteurs du navire sans aucune difficulté. S'aidant des cordages, il se propulsa vers le pont où l'attendaient Lysange et Gaëlan mais, avec les deux navires en mouvements, son évaluation de la distance fut faussée et il s'enfonça dans les flots salés.
Lysange lâcha un juron en le voyant disparaître dans les vagues et Gaëlan se rua vers le bastingage en criant le nom de son amant. Au passage, il ramassa un cordage qu'il jeta dans l'océan. Anxieux, il fixa la surface de l'eau sur laquelle flottait mollement l'extrémité de la corde mais où Nigel demeurait invisible.
Après d'interminables secondes de torture, le cordage se tendit soudainement, attrapée par quelque chose ou quelqu'un. Une fois accroché à une chose qui lui indiquait la position du navire, Nigel escalada aisément la coque et rejoignit le pont. Gaëlan l'étreignit avec force, se moquant qu'il soit totalement détrempé et son amant lui rendit son étreinte, soulagé de constater qu'il n'avait pas été blessé durant cet abordage.
Le choc, la tension et la peur engendrés par l'incident s'estompant, les marins recommencèrent à s'interroger sur ces trois étrangers qui avaient surgi de la cale, qui avaient défendu leur navire mais aussi laissé plusieurs cadavres sur le pont.
L'équipage se massait devant eux, suspicieux. Visiblement, ils ne les considéraient pas comme de mystérieux sauveurs, même si ils leur avaient permis d'échapper aux pirates. Craignant que la situation ne dégénère, Lysange raffermit sa prise sur son fouet, qui s'agitait contre ses pieds.« Apparemment, on avait des clandestins à bord. Lança le capitaine, les bras croisés sur la poitrine.
– Pas seulement des clandestins, rajouta un marin. Un homme qui boit du sang et se cache du soleil et une femme qui fait apparaître des armes à partir de rien. Je dirais qu'on à faire à une partie des Déchus.
– Vous voulez nous vendre ? Siffla Lysange. Bonne chance.
– Il est vrai que nous sommes montés sur votre navire sans en avoir le moindre droit, nous le reconnaissons, cependant, si nous n'avions pas été présents, vous n'aurez probablement pas pu résister à ces pirates. Enfin, sans eux deux surtout. Ils étaient nombreux. Argumenta calmement Gaëlan.
– Je dois vous donner raison. Reconnut le capitaine. Vous nous avez sauvés.
– En général, les mercenaires se font payer pour ce genre de services alors profitez-en ! Plaisanta Nigel.
– Mais nous nous contenterons d'une traversée, rebondit Gaëlan. Après tout, rien ne nous dit que ces pirates ne tenteront pas une poursuite ou que d'autres ne rôdent pas dans ces eaux. Même si vous ne transportez que du bois, vous restez une cible. Nous pourrions vous défendre, en échange de votre silence sur notre présence, évidemment.
Gaëlan ponctua sa proposition d'un de ses sourires naturellement honnêtes qui inspiraient confiance pour achever son argumentaire et terminer de persuader les marins.
Ces derniers échangèrent des regards incertains et hésitants. La question était certainement de savoir si ils craignaient plus la menace des pirates ou la réputation des Déchus et le risque de braver les autorités qui les recherchaient, cependant, le danger le plus immédiat était certainement de s'attirer l'ire des Déchus, ce qu'ils ne souhaitaient vraiment pas, surtout après les avoir vus à l'œuvre, notamment Lysange, qui les fixait d'un regard glacial.
Finalement, le capitaine décroisa les bras de sa poitrine et acquiesça, le visage grave :– Bon, très bien. Vous pouvez rester. Je suppose que vaut mieux vous avoir de notre côté, on a vu de quoi vous étiez capables.
– Ça, on a vu ! Y a un pirate qui a perdu connaissance heureux ! Lança d'un des marins, goguenard, en donnant un coup de coude à l'un de ses camarades, qui renchérit :
– J'aurais bien aimé me retrouver entre les cuisses d'une aussi jolie fille, quitte à me faire casser le nez !
– Ça peut toujours s'arranger.
Menaça Lysange en faisant claquer son fouet contre les planches du pont, le regard plus dur que l'acier, d'un ton qui dissuada quiconque de poursuivre cette plaisanterie graveleuse et tous préférèrent se presser de retourner à leurs occupations, qui ne manquaient pas suite à l'attaque des pirates.
Dès que l'équipage se fut dispersé, Gaëlan se permit de se relâcher et poussa un soupir, soulagé d'avoir réussi à calmer la situation et à la garder sous contrôle. Heureusement que sa proposition avait été acceptée par l'équipage car il n'avait aucune autre alternative.
A côté d'eux, Nigel vérifiait l'état de sa cape, trouée par le sabre qui l'avait transpercé, pendant que Lysange continuait à promener un regard glacial sur les marins puis, se détournant d'eux, elle s'accouda au bastingage en vérifiant auprès de ses compagnons :– Vous avez conscience qu'ils nous dénonceront dès qu'on sera à Tahoèkk ?
– On avisera à ce moment-là ! Décréta sereinement Nigel. »
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Le Sang des Déchus - Tome 1 : Sang de Mercenaires [Terminé]
FantasyDans le monde de Thamarèthe, l'humanité prospère depuis la disparition des anciens peuples, dont il ne subsiste plus la moindre trace. Jusqu'au jour où un groupe de mercenaires qui se fait connaitre sous le nom des Déchus commence à faire parler de...