Chapitre 13 - Le gardien

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Zélénith était un étrange mélange un peu bâtard de l'architecture habituelle qu'on retrouvait sur les continents avec des pierres de taille et des bâtiments parfois massifs mêlés aux constructions traditionnelles de l'archipel en bois recouvert d'une fine couche de terre ocre et argileuse, comme les autochtones le faisaient depuis des siècles, avant que les habitants des continents ne viennent s'y établir. Certains bâtiments possédaient même un rez-de-chaussée de pierres et des étages supérieurs de bois avec des fenêtres étroites.
Les autres villes et villages de l'archipel étaient moins influencés par les continents, bien moins faciles d'accès que Zélénith. A part la capitale, il y avait deux autres villes : Talwell, située sur la rive du lac du même nom, et Affile, qui se dressait sur une large pointe tout au nord de l'île principale, de l'autre côté de la dense forêt qui la séparait de Zélénith. Le reste était principalement de petits villages dispersés entre les arbres.
La population reflétait également ce mélange entre deux cultures différentes. De nombreuses personnes avaient le physique typique des autochtones de Lithyneth avec des peaux caramel foncé, des yeux bridés et des chevelures foncées, alors que d'autres avaient tout de citoyens qu'on aurait pu croiser dans n'importe quel royaume de Thamarèthe. La majorité était principalement des marins qui profitaient de quelques jours à terre avant de s'embarquer à nouveau sur leur navire pour des semaines ou bien des marchands ou de puissants armateurs installés dans la ville pour le commerce, un domaine toujours en expansion sur l'archipel.
Certains avaient gagné les îles pour des raisons plus inavouables. Les ports animés par une forte activité attiraient toujours des voleurs ou des personnes mal attentionnées qui tentaient d'en profiter en se taillant une part.
Comme tous les ports animés, celui de Lithyneth proposait de nombreux services, notamment à destination des marins, auberges, tavernes, maisons closes, bains publiques et encore bien d'autres, à des prix plutôt modestes, ce qui expliquait certainement l'absence de raffinement qui se dégageait des quartiers aux alentours des quais, renforcé par l'étroitesse des rues qui formaient des méandres serpentant entre les constructions de bois ou de pierres et le nombre de personnes qui y déambulaient.
Le sable, charrié par le vent depuis la plage, s'agglutinait dans les petits espaces ou les recoins des rues et recouvrait le sol en une fine couche blanchâtre.
Nigel et Gaëlan se fondaient sans grande difficulté dans la population changeante et fluctuante.
Pour ne pas se perdre dans la foule comprimée par le manque d'espace des rues, les deux jeunes hommes se tinrent par la main, craignant de se retrouver séparés mais usant également de cette justification comme prétexte pour garder leur main l'une dans l'autre. De toute manière, personne ne les connaissait sur cette île et n'aurait pu propager des rumeurs à leur sujet en ville et les passants qui se pressaient autour d'eux étaient bien trop nombreux pour que qui que ce soit parmi eux ne relève le discret détail de leurs doigts entrelacés.
Même si c'était pour des raisons et à des degrés différents, Gaëlan n'était pas sûr d'apprécier davantage cette cité que Kaleth. Elle lui semblait suffocante, avec ses rues étroites et sinueuses, cette foule qui s'y massait, partiellement composée de marins, déjà à moitié ivres puisqu'ils se jetaient sur les plaisirs de la terre ferme qui leur avaient manqués en mer, ainsi que de vendeurs de nourriture ambulants. Ce qu'ils proposaient était évidemment des spécialités locales, le plus souvent préparées à base de pates frites ou de poissons très épicés.
Les goûter intriguait Gaëlan tout en le rebutant légèrement, certainement car il n'en avait pas coutume. Sans compter que les odeurs grasses qui émanaient des échoppes l'écœuraient, certainement car elles se mêlaient à toutes les autres : alcool, nourriture, sueur, corps mal lavés. Celle rafraichissante d'iode se faisait écraser par elle. Visiblement, les établissements que les marins visitaient en premier en arrivant à Zélénith n'étaient pas les bains.
Noyés dans la foule, agrippé à Nigel, le jeune homme se faisait encore plus balloter que dans les flots en tous sens, se faisant bousculer, marcher dessus et pousser de tous côtés. Se retrouver collé à de parfaits inconnus à l'hygiène corporelle souvent douteuse, bien que lui-même n'ait pu se laver que sommairement sur le navire, le dérangeait vraiment et le répugnait même. Le calme d'Eluville lui manquait.
Heureusement, les bâtiments de Zélénith n'étaient pas particulièrement hauts et permettaient de dégager un peu la vue tout en laissant le ciel visible au-dessus de la masse sombre et fourmillante des passants. En revanche, le vent peinait à pénétrer dans les rues étroites. Les quelques bourrasques qui y parvenaient sifflaient entre les constructions en soulevant vêtements et chevelures, chargées d'air marin.
L'air paraissait manquer au cœur de la foule et, même si le climat de Lithyneth n'était pas suffoquant mais plus proche de l'océanique, on y avait rapidement trop chaud. La cape de Nigel pesait sur ses épaules et il désirait de plus en plus la retirer mais il se souvenait que, sans sa protection, il aurait fini carbonisé par le soleil, cependant, c'était le seul désagrément lié à leur environnement dont il souffrait. Entre ses nombreux voyages à travers tout Thamarèthe et son habitude à fréquenter des lieux pas toujours des mieux fréquentés, notamment avec les Déchus, il avait coutume d'évoluer dans des endroits peu agréables et il n'y prêtait plus une grande attention. Ça lui permettait également de savoir relativement que faire alors que Gaëlan se laissant involontairement submerger.
Après quelques heures à déambuler dans les méandres de la ville pour s'y accoutumer et y prendre quelques repérages pour s'y orienter plus aisément, Nigel se dirigea à nouveau vers le port pour trouver un quai isolé et bien moins fréquenté que les autres en entrainant Gaëlan à sa suite.
Le jeune homme respira plus librement lorsque la foule et les odeurs de la cité se dissipèrent, la poitrine moins comprimée.
Profitant de la proximité de l'eau, qui lui rappelait sa ville natale d'Eluville, qui lui semblait bien loin dans tous les sens du terme, et l'apaisait, il s'assit sur le bord du quai en pierres claires, les jambes pendant vers les flots. L'imitant, Nigel s'installa à côté de lui.

Le Sang des Déchus - Tome 1 : Sang de Mercenaires [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant