Chapitre 21 - La vie à Tikkr'eth

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Dimitri vérifia une nouvelle fois que son masque était bien dissimulé sous ses vêtements au fond de son sac, où personne ne le verrait. Si on le remarquait, on comprendrait qu'il ne s'était pas absenté pour visiter de la famille éloignée, comme il l'avait prétendu et il aurait des problèmes. Sans compter qu'il n'aurait plus eu la possibilité de soulager les malades, le plus important pour lui.
A part Bassarèth, qui était le nouveau grand foyer infectieux qui affolait tout le monde, il y avait également Port Tuath, dans la sud de Névinda, ainsi que la ville d'Ephilte, à Yfanag, où les épidémies continuaient à faire des ravages, sans parler des cités du continent voisin, notamment à Reynlesky, où la pauvreté et les mauvaises conditions de vie jouaient également un rôle important, mais ces bassins de maladies se trouvaient trop loin pour qu'il s'y rende. Depuis Tikkr'eth, il pouvait gagner Bassarèth sans trop de difficultés avec une halte à Tahorette, mais on ne lui aurait jamais permis de s'absenter aussi longtemps qu'aurait nécessité le voyage jusqu'à ces autres villes. De toute manière, Bassarèth était le lieu qui réclamait son attention le plus urgemment, même si, pour l'instant, il était forcé de s'en détourner.
S'orientant dans les rues de la capitale de Névinda, qu'il avait appris à connaître durant les dernières années, Dimitri leva le regard vers le ciel, qui apparaissaient entre les toits et qui noircissait lentement. La soirée avançait lentement et son retard également. Il aurait probablement gagné du temps si il ne s'était pas arrêté dans une auberge en périphérie de la ville pour une toilette approfondie qui avait retiré la crasse du voyage et pour retirer ses vêtements confortables au profit d'une tenue élégante plus appropriée.
Le jabot que formait le col de sa chemise l'étranglait et l'empêchait de respirer parfaitement à son aise. Il détestait cela. Sans compter que ce genre d'atours de nobliau n'était nullement adaptés au travail de recherches qu'il menait.
Passant une main dans ses cheveux, il tenta à une nouvelle reprise de domestiquer ses mèches rebelles, ce à quoi la fine couche de cire qu'il y avait appliquée ne suffisait pas. Ça lui vaudrait certainement des remarques, ce qu'il s'efforçait pourtant d'éviter avec toutes ces manières.
Les mains serrées sur la bride de son sac, crispées non pas à cause de l'appréhension mais de la colère, il se présenta au palais royal de Tikkr'eth, où vivait la famille Cécyly, la lignée qui régnait sur Névinda depuis des générations, certainement la plus puissante actuellement.
Trônant au milieu d'une imposante place, célèbre pour ses parterres dont les fleurs formaient des motifs éphémères que les bourgeois désœuvrés venaient admirer, l'édifice royale était ceint par une muraille qui le séparait du reste de la ville. L'imposant mur d'enceinte était orné de pierres colorées ou de fossiles de créatures oubliées remontés des galeries qui couraient sous le Massif des Eaux Secrètes. De nombreux gardes arpentaient le chemin de ronde en surveillant les alentours, rappelant que cette muraille n'était nullement ornementale. Le souverain de Névinda était probablement l'un des mieux gardés de Thamarèthe.
Tous n'appréciaient pas la façon dont Léhodore Cécyly usait de sa richesse et de sa puissance pour influencer les autres ou leur imposer ses propres choix, comme il l'avait par exemple fait il y avait quelques années lorsqu'il avait exigé que tous les royaumes déclarent les Déchus hors la loi. C'était notamment le cas de Trystan de Lauvel, roi de Taïfyne.
Par ailleurs, cette protection exacerbée concernait également le deuxième et dernier membre de la famille Cécyly : Taminiëlle. En tant que seul enfant de Léhodore, la jeune fille était l'unique héritière du trône de Névinda, ce qui ne plaisait pas à toute la noblesse du royaume à cause de sa féminité.
Sa mère, Domille, l'épouse de Léhodore, était morte en la mettant au monde. Ce décès aurait traumatisé son époux, d'après les rumeurs.
Redoutant peut-être de perdre sa fille après avoir perdu sa femme, qu'il aimait encore plus que tout, il la surprotégeait probablement un peu exagérément, et se montrait extrêmement vigilant sur qui approchait la princesse. Sans compter qu'elle représentait une possibilité d'alliance grâce à une union.
Même en fréquentant plus que régulièrement les couloirs du palais, Dimitri n'avait aperçu la princesse qu'à quelques très rares reprises. Il fallait dire qu'ils ne fréquentaient pas vraiment les mêmes ailes de l'édifice royal.
Se souvenant du détail le plus important de sa tenue raffinée, le jeune médecin stoppa subitement alors qu'il longeait la muraille, manquant de se faire heurter par le couple richement vêtu qui flânait sur la place derrière lui. Sans se soucier de l'homme qui lui adressa une remarque, il fouilla dans son sac sans trouver ce qu'il cherchait. Retournant sa lourde besace, il la secoua, répandant son contenu au sol sous les regards effarés des badauds. A genoux sur les pavés, il fouilla dans ses affaires jusqu'à mettre la main sur une broche représentant l'emblème de Névinda : un paon en argent portant une couronne et dont les plumes de la queue déployée étaient ornées d'éclats de saphir.
Dimitri l'épingla sur son manteau au niveau de sa poitrine puis il se pressa de refaire son sac avant de se présenter au palais. Il ne passa pas par la grande porte, réservée aux visites officielles ou aux doléances. A la place, il se dirigea vers une petite porte, partiellement dissimulée parmi les pierres de la muraille dans un recoin de la place. Cet accès servait surtout aux domestiques ou à certaines personnes à qui les occupants du palais pouvaient parfois faire appel mais qu'il valait mieux ne pas voir dans les alentours du palais, Dimitri était de celles-là.
Un garde se tenait à côté, surveillant attentivement tous ceux qui s'approchaient de la porte. Son regard se posa sur Dimitri, qui le salua d'un hochement du menton poli mais distant, le visage dur et sombre, puis il désigna sa broche, qui lui garantissait l'accès au palais. Le garde n'exigea aucune précision et se contenta de déverrouiller la porte à l'aide d'une clé dissimulée sous son uniforme bleu paon et brun, cédant le passage à Dimitri, qui traversa le court tunnel creusé dans la muraille.
Le jeune homme déboucha dans une cour pavée de quelques mètres de largeur qui tenait davantage du passage séparant le palais en lui-même de la muraille. Les jardiniers et décorateurs royaux avaient tenté de rendre les lieux les plus accueillants possible, avec des fresques en mosaïques colorées sur l'intérieur du mur d'enceinte et des plantes grimpantes s'accrochant aux arcs et à la dentelle de pierre du palais cependant, malgré ces efforts, peu de personnes les fréquentaient, certainement à cause du vent froid qui s'y engouffrait en sifflant avec force.
Accélérant le pas, Dimitri se pressa de gagner une autre porte, toujours pas la principale, mais une plus discrète, presque dérobée.
Une volée de marches se présentait derrière, s'enfonçant sous la terre et sous le palais. Quelques lanternes étaient suspendues de part et d'autre du palier pour permettre aux visiteurs de distinguer leurs pieds et de ne pas risquer de se rompre le cou dans les escaliers raides et étroits.
Muni de l'une d'entre elles, qu'il alluma avec son briquet, Dimitri s'enfonça sous le château pour arriver devant une autre porte, également gardée par un homme en uniforme à l'attitude tendue et au regard inquiet. Certainement était-il anxieux à cause des rumeurs qui circulaient au sujet de l'endroit parmi les quelques rares personnes qui en connaissaient l'existence, probablement moins angoissantes que la réalité.
Ses yeux inquiets détaillèrent Dimitri à la lueur de la lanterne et du brasero qui l'éclairait, qu'il reconnut, non pas à sa broche mais à ses traits, ayant l'habitude de croiser le jeune homme ici. Comme son collègue posté devant la muraille, il sortir une clé de sous son uniforme pour déverrouiller la porte.
La première chose qui accueillit Dimitri lorsqu'il la franchit fut l'odeur si particulière qui régnait dans ces sous-sols, un mélange de plantes séchées, d'alcool pur, de métal chauffé avec une légère pointe de sang. Lorsqu'on évoluait dedans durant des heures, l'air frais devenait une véritable bénédiction. Dimitri n'en avait pas suffisamment profité durant ces quelques jours d'absence.
Un sifflement strident résonna à ses oreilles. Dans un juron, le jeune homme laissa son sac glisser au sol et se précipita vers un imposant fourneaux en cuivre dont un jet de vapeur s'échappait de l'ouverture en forme de bec. Protégeant sa main d'un pan de son manteau, il ouvrit la trappe derrière lesquelles brûlaient des flammes vivaces. Attrapant le seau d'eau qui trainait non loin justement pour cet usage, il les éteignit. Le sifflement cessa en quelques secondes.
L'urgence étant gérée, Dimitri prit le temps de s'équiper avec d'épais gants en cuir montant jusqu'à ses coudes puis monta sur un tabouret pour atteindre une autre ouverture dans le fourneau, située dans la partie supérieure en forme de ballon et en sortit un récipient dans lequel reposaient des éclats de pierres blanchâtres aux reflets irisés, qu'il plongea dans l'eau froide, dégageant un nuage de vapeur qui lui brûla les joues.

Le Sang des Déchus - Tome 1 : Sang de Mercenaires [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant