CHAPITRE 36 - ELONE

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Ils l'ont eu. Ces requins ont eu Emire une deuxième fois, et bordel cette douleur lancinante depuis plus d'un mois me compresse le cœur, m'empêche de respirer à chaque fois que mes yeux se posent sur le lit blanc de l'hôpital et son teint pâle.

C'est ce qui m'oblige à prier tous les matins, tous les soirs, mais ça n'aide en rien, j'ai l'impression de me briser un peu plus et de perdre espoir en l'univers, c'est de cette manière qu'il aime appeler notre amour.

L'univers, l'océan.

À mes quatorze ans, j'imaginais déjà comment ma vie allait finir : seul et presque en manque d'affection. À ses quatorze ans, il s'imaginait champion du monde, vainqueur des dizaines de compétitions de surf, mais surtout, il voulait être avec moi jusqu'à la fin.

— Peut-être que ce rêve était trop beau pour nous deux.

La bague argentée ornée d'un diamant bleu océan tourne légèrement autour de mon annulaire, l'homme face à moi continue d'écrire dans son carnet au fur et à mesure que mes souvenirs se démêlent devant lui.

— Emire avait l'air d'un enfant plein de vie.

Mes yeux se perdent sur l'horloge murale qui affiche dix heures du matin, je n'ai pas vu passer l'heure, à vrai dire j'évite de regarder le temps défiler depuis que je suis ici.

— Ces séances vous soulagent au moins un peu, Elone ?

— Je ne sais pas j'essaie.. j'essaie de survivre.

En croisant son regard réticent je sais ce qu'il doit se dire en ce moment : encore un gamin perdu entre son amour et le deuil.

— Le médecin m'a conseillé de parler, ce n'est pas un choix.

Pourtant je suis ici, assis depuis deux heures et demie à raconter chaque détail qui me traverse l'esprit à propos d'Emire Sosthène.

— Cette douleur ne partira jamais, elle restera ancrée au fond de vous. Peu importe que vous décidiez de parler ou non.

Mes yeux rougis sont sûrement la preuve de sa théorie, les insomnies consécutives et le manque de nourriture fait en sorte de me le rappeler.

— J'ai espoir qu'elle parte un peu, qu'elle se soulage dès qu'il ouvrira les yeux.

La réalité c'est qu'Emire ne se réveille pas, et qu'il ne le fera probablement jamais. Malgré les dizaines de prières et de consultation que j'ai beau faire, il est déjà parti.

— C'est un espoir auquel il faut s'accrocher.

Pas après un mois d'attente, de pleurs provenant de Kelly Rutherford, de mutisme envers Dallas St James.

— Mon cœur est mort, intérieurement il ne ressent plus rien. Je ne sais pas où me positionner.

Reposant son calepin sur la table en bois dans un grand silence, je remarque de légères fossettes dès qu'il esquisse un rictus.

— Un grand amour comme le vôtre ne disparaît pas si facilement, il est votre univers.

Mes lèvres s'entrouvrent pour laisser passer un simple halètement de douleur, des larmes affluent bien trop vite sur mes pommettes, car je n'avais jamais employé ce terme pour parler d'Emire. Mon grand amour mais aussi mon plus grand échec.

The Shade Of SosthèneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant