Chapitre 2

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Blake


Kieran ne prononça pas un mot durant le trajet jusqu'à la maison. Lui comme moi ne gardions pas beaucoup de souvenirs de la nuit où nous fûmes attaqués. Je ne me rappelais même pas la créature de pierre après laquelle il courait depuis cinq ans, celle pour laquelle il avait pris le risque de rejoindre l'organisation Stratton à qui nous devions la vie. L'une de leurs équipes nous avait trouvés dans la forêt et, pensant Kieran humain, l'avait soigné avant de lui expliquer ce qu'il avait vécu. Mon frère n'avait bien sûr rien dit sur lui ni sur moi ; à la place, il avait demandé à les rejoindre en comprenant que les moyens techniques, logistiques et financiers de l'organisation lui donneraient accès à des informations qu'il ne trouverait nulle part ailleurs.

De retour à la maison, Kieran fila à la douche car l'heure avançait et celle de partir à son travail de nuit arriverait bientôt. J'en profitai pour renverser mon carton contenant des cubes en bois sur lesquelles étaient peintes les lettres de l'alphabet. Il me fallut plusieurs minutes pour les retourner avec ma patte et les positionner pour écrire mon message. Parfois, j'utilisais un tapis mousse alphabet, mais ça nécessitait la présence de Kieran et d'un bloc-notes.

Ce qui me manquait le plus de ma forme humaine était ma capacité de préhension. Je rêvais de pouvoir me gratter partout, de me brosser les dents ou juste de manger un hamburger avec les doigts. Être un loup avait des avantages ; être un grand singe aussi.

Je finissais à peine mon entreprise quand Kieran me rejoignit, torse nu et une serviette sur la tête pour sécher ses cheveux humides. Depuis cette nuit tragique, il avait changé, aussi bien mentalement que physiquement. Le jeune gendarme canadien maigrichon un peu couard avait eu ces dernières années un entraînement et un régime alimentaire dignes des sportifs de haut niveau, le danger de mort en plus. Les muscles de son torse et de ses bras filiformes s'étaient galbés, dessinant sous sa peau des reliefs vertigineux, et sa maîtrise des armes à feu, ainsi que du combat au corps à corps, avaient fait du jeune homme timide un homme impavide. Tout cela le rendait apte à affronter des croque-mitaines de la taille d'un ijiraq et de la force d'un wendigo. Malheureusement pour moi, ça m'avait enlevé mon grand frère, celui qui se cachait derrière mon dos à la moindre frayeur.

Je me sentais inutile dans sa vie. Sans pouvoir vivre la mienne, cela me rendait amère.

Un hurlement bref de ma part attira Kieran vers mon message l'informant de ma sortie nocturne prochaine. Comme je m'y attendais, il grimaça.

— Je n'aime pas que tu te promènes toute seule en ville, surtout la nuit.

Je jappai mon mécontentement. Il s'accroupit, et la luminosité ambiante jeta un éclat vert sur ses iris marron, signe qu'il n'était plus un être double complet. La couleur étant liée à la Nature, elle apparaissait uniquement dans le regard de ceux nés Surnaturels comme Kieran et moi, jamais dans celui des transformés, comme les vampires, nés humains. La présence de cette lueur était une preuve de bonne foi lorsque les créatures amputées d'une partie d'elle-même cherchaient de l'aide auprès d'autres Surnaturels ; elle témoignait de notre réelle appartenance.

Heureusement pour Kieran, cette particularité physique-là n'était visible que par les nôtres, sans quoi il aurait déjà été repéré par les Stratton.

— Je ne peux pas t'interdire de faire ce que tu veux, par contre je peux te demander de faire attention. Au moindre problème, va chez Teddy, OK ?

J'approuvai d'un signe franc de la tête. Il se redressa sans me quitter des yeux. La culpabilité dans son regard me fit mal au cœur.

— Je suis désolé de mettre autant de temps. Tout serait plus simple si j'arrivais à identifier cette bestiole, mais sans savoir à quoi elle ressemble exactement, je galère à trouver une piste.

Le Souffle du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant