Chapitre 10

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Blake

Cette fois-ci, j'aboyai de tout mon souffle. Sitjaq se leva, et je vis Kieran, tétanisé, peiner à inspirer. Sa détresse me brisa le cœur.

Pardon, grand frère.

Le faire souffrir maintenant lui éviterait davantage de douleur par la suite.

— Je devrais y aller, annonça Sitjaq.

Ces quelques mots suffirent à mettre Kieran en mouvement. Je le suivis lorsqu'il raccompagna son invité jusqu'à la porte. Sur le seuil, l'hésitation de Sitjaq me fit prendre conscience de l'ampleur de ses sentiments pour mon frère. Son excuse de tantôt, il l'avait formulée pour se convaincre lui-même d'être dans l'erreur. Ce fut pour cette raison qu'il s'en alla sans se retourner.

La porte se referma doucement sur ce vide dérangeant. Dans le couloir plongé dans la pénombre, Kieran s'accouda sur le vantail, la tête baissée, les poings serrés. Puis il s'adossa au mur et se laissa glisser sur le sol, les jambes repliées vers lui.

— Laisse-moi.

Il était dévasté, j'en étais certaine, car c'était la première fois que je lui voyais des larmes aux yeux, éclats éthérés qui roulèrent sur ses joues. Par respect pour sa peine, je filai dans ma chambre.

Couchée sur mon lit, je ruminais et je détestais ça. Je me sentais coupable du mal que j'avais causé à Kieran et à Sitjaq. Le fait que mon intervention avait évité une situation future encore plus compliquée, en particulier à cause de tous les événements présents, ne parvenait pas à me tranquilliser parce que je savais qu'en ce moment même, mon frère pleurait seul dans le noir. Ça me mettait hors de moi !

Ma rage bouillonnante me poussa à faire les cent pas pour éviter de trop réfléchir. Malgré tout, mon envie d'action m'incita à planifier ma nuit puisque je comptais bien partir une nouvelle fois à la recherche de cet inukshuk, ou de cette fille-pierre. Si elle était du côté de Fremont, je n'aurais aucun mal à la trouver en m'y rendant lorsqu'elle attaquerait sa prochaine victime, car toutes les agressions avaient eu lieu de nuit à intervalle régulier.

Un long moment plus tard, j'entendis Kieran aller se coucher. J'attendis encore un peu avant de me glisser à pas de loup jusqu'à la porte d'entrée. Il me fallut user de patience et de persévérance pour la déverrouiller, l'ouvrir puis la refermer, le tout en appui sur mes pattes arrière. Mes mains me manquaient vraiment. Enfin dehors, je m'élançai au galop en direction du centre-ville.

Sur place, la première chose que je flairai fut le piège. Des chasseurs Stratton étaient positionnés un peu partout dans le périmètre où avaient eu lieu les attaques. J'entrepris de tous les localiser afin de pouvoir me déplacer en toute sécurité même si, normalement, ils ne s'en prenaient pas aux métamorphes naturels non agressifs. La prudence restait malgré tout le maître-mot car s'ils m'identifiaient comme étant un loup normal, rien ne garantissait qu'ils ne m'abattraient pas par précaution.

Mon repérage effectué – non sans mal car ils se douchaient sans produit parfumé et portaient des combinaisons conçues pour camoufler au maximum leur odeur – j'arpentais les rues, les sens aux aguets.

Les minutes passèrent, puis les heures sans que rien d'étrange ne se passe. La créature viendrait-elle ? Cela paraissait peu probable qu'elle ait repéré les Stratton, à moins de savoir à l'avance leur présence.

Toute cette histoire était vraiment étrange.

Une odeur familière arrêta soudain mon pas. La truffe en l'air, j'humai le vent favorable : du sang. Pas ici, à Fremont. Ça venait de l'autre côté du pont. Je m'élançai sur la structure métallique bleu et orange, la longeai par le passage réservé aux piétons, traversai le grand carrefour puis grimpai la quatrième avenue où la végétation abondante embaumait l'atmosphère d'une senteur apaisante qui jurait avec celle de l'hémoglobine. Sous la lumière d'un lampadaire, je vis un homme, la gorge pressée par une main pour l'empêcher de crier, être mordu au cou par une femme encapuchonnée dont je distinguais mal le visage.

Le Souffle du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant