Chapitre 23 - Partie 1

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Blake

Voir décoller l'avion me fit un pincement au cœur. C'était un étrange au-revoir. Je n'eus pourtant pas le temps de laisser le vague à l'âme s'installer car Sitjaq ordonna le départ : le chemin de retour serait long, mieux valait ne pas traîner. Je demandai à conduire, requête qui me fut accordée. Même si les routes étaient sinueuses, elles étaient relativement larges et peu fréquentées. L'idéal pour reprendre le volant après cinq ans sans en toucher un seul. Après un temps d'adaptation au gabarit du véhicule, je devais reconnaître que je ne m'en sortais pas si mal. À voir ce que ça donnerait en ville avec son impressionnant flot de voitures et son labyrinthe de voies.

La cabane dans laquelle nous avions logé l'avant-veille au soir était trop loin pour nous permettre d'y passer une nouvelle nuit, il nous fallut donc nous arrêter plus près, à Watson Lake, dans un Bed and Breakfast composé de deux cabanes sur les bords de Wye Lake. J'investis celle destinée à Charlie, Lucie et moi et je fus autorisée à squatter la salle de bain en premier car j'avais vraiment besoin de me laver, ce que je fis avec application sous la douche, avant de me détendre dans un bon bain chaud.

J'en étais à jouer avec la mousse quand on frappa à la porte.

— C'est Kieran. Je peux entrer ?

— Vas-y, j'ai mis de la mousse partout !

Lorsqu'il me rejoignit, il me trouva tout sourire. Il s'assit à même le sol, adossé à la baignoire.

— Ça fait du bien ?

— C'est génial !

On toqua à nouveau à la porte. Charlie et Lucie nous rejoignirent, un plateau garni de club sandwich dans les mains. Il était vingt-et-une heures passées et nous n'avions toujours rien mangé, autant dire que la nourriture fut vite engloutie.

— Quelle est la première chose que tu vas faire en rentrant ? me demanda Lucie.

— J'hésite entre trouver un boulot ou m'envoyer en l'air.

— Commence par le sexe, me conseilla Kieran, ça nous donnera le temps de trouver quoi dire pour expliquer ta disparition.

Mon allégresse retomba un peu. C'était vrai, ça. Ma disparition avait été signalée à la police, mon retour entraînerait donc une enquête, sans doute, ou au moins un interrogatoire pour savoir ce qu'il m'était arrivé. Qu'est-ce qui pouvait justifier une absence de cinq années sans la moindre nouvelle qui ne requerrait pas l'intervention des autorités, et ne me grillerait pas auprès du milieu sportif ?

— Tu avais dit avoir été agressé et qu'à ton réveil, je n'étais plus là ? demandai-je à Kieran.

— C'est ça. Ça justifiait aussi mes propres blessures. Je n'ai pas pensé, à l'époque, que ça compliquerait ton retour.

— Le mieux serait sans doute de feindre l'amnésie, intervint Lucie. Il y aura une enquête, mais sans piste, elle n'ira pas loin.

— Warren pourra te briefer, compléta Charlie. Te faire une liste des questions que posent les médecins dans ce cas-là pour que tu ne te trompes pas de réponse s'ils te demandent quel est le président actuel, par exemple.

— Je suis sensée l'ignorer si je suis amnésique ?

— Il faudra voir avec Warren. Je pense qu'il y a plusieurs types d'amnésie. Le plus simple à gérer pour toi restera la complète pour t'éviter une gymnastique mentale complexe. C'est le meilleur moyen de se planter.

Ses arguments étaient judicieux. Ça annonçait une période désagréable.

Kieran avait raison, je devais commencer par le sexe.

Cette pensée en amena une autre.

— Au fait, commençai-je. Pourquoi y'a autant de monde avec moi quand je prends mon bain ?

— Ce qui s'est passé dans la cabane avec les ijirait m'a plus marqué que je ne le pensais, avoua Kieran.

À l'expression de Charlie et Lucie, c'en était de même pour elles. Je n'avais pas eu de perte de ma conscience humaine à ce moment-là, je n'avais donc pas été sensible au charme. Tout ce que j'avais vu, c'était des Stratton persuadés d'être seuls et armés.

— Qu'est-ce qui s'est passé ?

— J'ai vu des monstres, confessa Charlie. Ça grouillait partout.

— Les murs de la cabane se refermaient sur moi, avoua Lucie. Je suis claustrophobe, un endroit étroit me terrifie plus que tout.

— J'ai vu les corps de tout le monde déchiquetés. Et je t'ai vu décapiter Sitjaq.

Je grimaçai d'horreur en imaginant la scène et les séquelles qu'elle avait laissées.

Raison de plus pour alléger un peu l'ambiance devenue pesante.

— Kieran, la seule personne à qui j'ai jamais eu envie d'arracher la tête, c'est toi quand tu venais me chercher en plein milieu de la nuit pour que j'enlève les araignées dans ta chambre, le taquinai-je en mettant de la mousse sur son nez.

Cela fit rire tout le monde, tant mieux. On avait mérité un peu de légèreté.

— Elles étaient grosses, se défendit mon frère. Et puis, t'as toujours été plus douée pour veiller sur moi que l'inverse.

— En parlant de ça, il faudrait peut-être appeler les parents pour leur annoncer qu'on a retrouvé notre part manquante, non ?

— Ouais.

— En attendant, je peux finir de prendre mon bain seule ?

Face à mon insistance, j'obtins le départ de toute la troupe. Lorsque la porte se referma derrière mon frère, je me détendis dans l'eau chaude parfumée.

Le Souffle du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant