Chapitre 4

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Blake

Ma rapidité me permit de rattraper ma proie, et mon endurance de suivre sa trace jusqu'à Pioneer Square. Dissimulée par l'épais brouillard, je me faufilai entre le mobilier urbain et les passants assez courageux pour affronter la nuit et la brume. En revanche, je ne savais pas comment l'imposante silhouette de la créature que je filais parvenait à passer inaperçu. Un sort, sans doute. Difficile d'être sûre sans savoir à quoi j'avais affaire. Il y avait tellement de types différents de Surnaturels à travers le monde que je ne les connaissais pas tous, même si Kieran m'en avait fait découvrir quelques uns. En tout cas, ma cible se déplaçait d'un pas pataud comme si elle n'était pas faite de chair. Elle n'avait pas non plus l'odeur d'un être vivant ; elle sentait la terre. Par contre, elle paraissait bien souple pour un être fait de pierre. Trop souple.

Elle bifurqua soudain à droite à un coin de rue. Je lui emboîtai le pas, confiante mais prudente. Du moins le crus-je. À peine montrai-je le bout de mon museau dans la ruelle que la créature abattit sur moi son bras comme une massue. J'esquivai de justesse d'un bond sur le côté, et ce fut là que je l'aperçus. Tapie dans l'ombre, une femme vêtue de haillons noirs, au visage entièrement dissimulé sous un voile, tendit sa main griffue vers ce qui semblait être sa marionnette d'argile. Cette dernière attaqua avec tant de lenteur que j'eus le temps de détaler comme un lièvre. Parer les offensives était une chose, maîtriser l'étrange femme et son garde du corps en était une autre. Seule, je n'avais aucune chance.

****

Kieran

La réunion de débriefing concernant le kee-wakw terminée, Sitjaq nous donna congé : ce soir et demain, une autre équipe nous remplacerait. Quand je regagnai ma voiture, l'aube se levait. J'ouvris à peine ma portière qu'une boule de poils s'engouffra dans l'habitacle. Je me mis sans attendre au volant avant de prendre le chemin de la maison, Blake assise sur le siège passager. Je lui caressai la tête sans lâcher la route des yeux.

— Merci pour tout à l'heure. Je suis désolé de t'avoir bousculée, j'ai paniqué. On a eu de la chance, Sitjaq n'a rien vu. Du moins rien qu'il puisse analyser.

L'attention portée devant moi, je la grattai derrière les oreilles distraitement. Oui, on avait eu de la chance.


Dès l'instant où je poussai la porte d'entrée, Blake se précipita vers son tapis en mousse roulé sous la table basse. Je ne pus retenir un profond soupir las car ma seule envie était de m'effondrer dans mon lit, pas de jouer les rédacteurs. Un peu dépité, j'attrapai un bloc-notes, un stylo et m'assis sur le meuble bas, notant les lettres que Blake me montrait de la patte.

— « Trouvé chose intéressante », lus-je. Sérieux ?

Elle hocha la tête.

— C'est quoi ?

Je suivis les mouvements de sa patte avec attention.

— « Compliqué. Va te coucher, on en parle après », décryptai-je. Ouais, t'as pas tort, je suis claqué. Si je ne suis pas réveillé à treize heures, t'as la permission de me mordre les pieds.

Elle remua la queue de joie. Parfois, je me demandais vraiment si elle tenait à moi...

Peu désireux d'avoir la réponse, je l'abandonnai dans le salon pour aller me vautrer sur mon lit que je ne pris même pas la peine de défaire. J'étais tellement bien dans cette position que je ne me sentis pas sombrer.


Un mouvement brusque me réveilla en sursaut. Je jurai entre mes dents, le cœur tambourinant dans ma poitrine. Je me tournai et vis Blake debout sur le matelas. Il me fallut un instant supplémentaire pour comprendre qu'elle avait sauté dessus avec la ferme intention de me tirer de mon sommeil. Je me frottai les yeux tout en ravivant ma conscience, ainsi que ma mémoire qui me rappela la volonté de ma sœur de me faire part de ce qu'elle avait trouvé la veille.

Le Souffle du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant