Le Souffle du loup

Chapitre 22

Blake

Même en ayant retrouvé tous mes esprits, je ne comprenais pas bien ce qu'il se passait. J'aurais aimé reprendre ma forme humaine, mais sans vêtement dans ce froid, cela s'annonçait compliqué. Mieux valait garder mon épaisse fourrure sur le dos. De toute façon, j'avais d'autres préoccupations. Nous en avions d'autres, car nous vîmes bientôt sortir du ruisseau une femme dont l'apparence me fit de la peine. Ce qui me frappa en premier lorsqu'elle s'approcha de Sanna fut ses cheveux emmêlés dans du plastique et des filets de pêche, de ce que je pus distinguer, et poisseux de pétrole et d'hydrocarbures. Ce fut ensuite que je remarquai ses mains : tous ses doigts avaient été coupés net.

— Les deux premières âmes de cet inukshuk lui ont été données, reprit la nouvelle venue. Et l'une d'elle l'a nommée Sanna pour la lier à moi.

Je vis Sitjaq se pencher vers mon frère pour lui murmurer à l'oreille :

— Sanna est un autre nom de l'Esprit-déesse Sedna, maîtresse des animaux marins qui seraient nés de chacun de ses doigts coupés.

Tekkeitsertok retourna se coucher. Ses immenses bois pleins de végétation semblaient lui peser.

— Que fais-tu là ? demanda-t-il. Nous ne lui aurions jamais pris ce qui lui a été donné.

— Je connais votre sagesse. Je ne suis pas là par crainte d'une erreur de votre part, mes amis. Je suis là pour m'entretenir avec le Cercle des Sorcières.

Toute l'attention convergea vers Kangee. Amarok s'allongea alors sur son rocher pour écouter la suite de la conversation bien qu'elle ne le concernât plus.

— Je parlerai pour eux, annonça le Haut-Chaman.

Sedna l'en remercia d'un simple geste de la tête.

— Le Nemeton soigne les Surnaturels.

Ce n'était pas une question, pourtant Kangee confirma.

— Parfois, certains y meurent.

— Où voulez-vous en venir, Sedna ?

— Chaque Surnaturel sait que son âme, après sa mort, se transformera. Demandez-leur, aux derniers instants de leur vie, de donner leur part humaine à Sanna.

— Cela impliquerait de la garder avec nous au Nemeton.

— En quoi ça dérangerait ? intervint Kieran.

— En rien, je suppose. Je m'interroge, Sedna. Pourquoi ne pas vous charger vous-même de venger ces deux femmes ? Ou de confier la tâche à un être bien vivant ?

Sedna sourit. Kangee sembla comprendre la naïveté de sa question.

— Vous prévoyez autre chose pour elle, affirma-t-il.

— Ce que son vécu a fait d'elle aidera beaucoup de mes sœurs Inuits, confirma la divinité.

— Comment ?

— Le futur n'est pas le domaine du Cercle.

La réponse tranchante scella la conversation. À présent, la main passait à Kangee plongé dans ses réflexions concernant la faisabilité du plan de Sedna. Son hésitation venait aussi du fait qu'en s'engageant auprès de l'Esprit-déesse, il engageait toute sa caste qui, s'il acceptait, ne pourrait pas refuser. En cas de conflit, Kangee serait le seul à en subir les conséquences.

Visiblement, cela lui fit moins peur que la probable rancune d'un esprit millénaire. Il accepta.

— Merci, Chaman. Pour le reste, je fais confiance à l'héritier du breuvage.