Chapitre 5

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Kieran

Nous avions perdu notre temps à Fremont, car Blake ne retrouva pas l'odeur suspecte. Ce fut défaits que nous rentrâmes chez nous avec l'intention d'oublier cette horrible journée.

Le lendemain, l'air las, ma sœur s'était couchée à côté de moi sur le canapé pour que je lui lise une histoire de notre autrice favorite. Elle avait toujours eu besoin de ça pour se vider la tête. De mon côté, je ne connaissais rien de mieux que de lire un bon thriller fantastique après un petit déjeuner matinal.

En plein milieu du passage où nous nous apprêtions enfin à savoir si le héros était poursuivi par un vrai loup-garou ou nageait en plein délire, on toqua à ma porte. Blake râla moins que moi, pourtant je me levai pour aller ouvrir car je recevais très peu de visites – pour ne pas dire aucune. Je me figeai, hébété, lorsque le vantail me livra la vision de Sitjaq et de son sourire à faire fondre le cœur d'un wendigo.

— J'avais un dossier à récupérer au bureau, commença-t-il, je me suis dit que je pourrais passer. On n'a pas eu l'occasion de se faire notre café.

J'attrapai les gobelets à emporter qu'il me tendit, avant de le conduire jusqu'au salon où Blake endossa son rôle de loup apprivoisé en reniflant mon collègue.

— Beau loup, commenta-t-il en s'accroupissant pour la caresser.

— Rosie n'est qu'à moitié louve.

Je regrettai aussitôt d'avoir pris le risque d'avancer cet argument ; Sitjaq avait grandi dans le Nunavut. Même s'il y avait peu de chance qu'il ait fait plus qu'apercevoir un loup de loin, ce n'était pas malin de ma part. Heureusement, ce ne fut pas le détail sur lequel il s'arrêta.

— Rosie ?

— Oui.

C'était le second prénom de Blake. En public, ça me permettait de ne pas appeler mon loup comme ma sœur supposément disparue, chose que les humains auraient trouvée bizarre.

— Ça me rappelle le dessin animé Balto, reprit Sitjaq. Gamin, je rêvais aussi d'avoir mon équipage pour participer à l'Iditarod.

— La Route du sérum.

— Tu connais ?

— Qui ne connaît pas ?

J'avais longtemps rêvé de cette course aussi, à la différence que je voulais y participer en tant que leader, pas comme musher. J'étais sûr que Blake se serait fait engager dans un autre équipage juste pour le plaisir de me faire mordre la neige sur la ligne d'arrivée.

Ma sœur, justement, était encore en pleine analyse de Sitjaq dont je lui avais sans doute trop parlé. Elle éternua soudain, avant de filer sur un fauteuil. Si le parfum de mon coéquipier faisait hurler le loup en moi, la truffe de Blake, elle, n'appréciait pas. J'invitai mon collègue à s'asseoir sur le canapé où il trouva notre livre.

— Un Elizabeth Hastings.

— Blake et moi on adore ce...

Ma phrase mourut tandis que je m'asseyais en me fustigeant intérieurement d'enchaîner les boulettes. Je me souvins alors de la raison pour laquelle je n'invitais personne, et surtout pas Sitjaq. Ici, c'était le seul endroit où Blake et moi pouvions être nous-mêmes, où je pouvais lui parler sans craindre de passer pour un fou ou de me faire étriper par mes collègues de travail. Me discipliner pour passer outre était compliqué.

— Pardon, m'excusai-je de ma voix la plus triste. J'ai parfois encore un peu de mal à réaliser.

Sitjaq ne dit rien, et je détestais ça dans ces moments-là ! J'avais toujours l'impression qu'il flairait mes mensonges et attendait la meilleure occasion pour me ferrer. Il n'en fit rien cette fois. Il prit le livre.

Le Souffle du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant