Chapitre 19

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Kieran

Des gargouillis sortaient de la bouche de Sitjaq en même temps que d'épais filets de sang. Je fis un pas, Blake serra la mâchoire, arrachant un gémissement de douleur à mon coéquipier. Je m'immobilisai aussitôt en la gardant toujours en joue.

— Blake, lâche-le.

Elle grogna d'une voix plus aiguë que d'ordinaire. Je raffermis ma prise sur mon pistolet. Je sentis des larmes monter face au choix inévitable qui s'imposait doucement à moi.

— Je ne veux pas te faire de mal, Blake, alors lâche-le. Maintenant.

Son poil se hérissa davantage. Elle serra encore.

— M'oblige pas à te faire du mal, la suppliai-je d'une voix chevrotante.

Le soudain éclat meurtrier dans ses yeux me fit perdre tous mes moyens. Ce fut dans une torpeur totale que je la vis tirer d'un coup sec sur la tête de Sitjaq qui se détacha du reste de son corps dans un craquement horrible à m'en soulever le cœur. Cette fois-ci, je vomis de la bile dans un coin, et plus je revoyais les tendons et les muscles se déchirer, plus mon organisme rejetait cette vision. Dès que les spasmes se calmèrent, je me redressai pour faire face à Blake qui avait disparu. Je n'osais pas regarder le corps de Sitjaq. Je voulais seulement sortir de ce cauchemar. La panique me coupa les jambes et je me serais écroulé par terre si je ne m'étais pas appuyé contre la paroi pour me soutenir.

La tête me tournait, je me sentais vraiment mal. La douleur anesthésiait ma réflexion, ne me laissant pour me sortir de là que le réflexe de fuir. Je voulais quitter cet endroit où le sang imprégnait même les murs. Je parvins à me redresser avec difficulté, puis à rejoindre le couloir d'un pas vacillant. Je devais m'en aller. Même à pieds, je devais partir. J'atteignis la porte d'entrée contre laquelle je m'avachis presque. Au moment où je posais la main sur la poignée, un son familier s'éleva au loin.

Je m'immobilisai, l'ouïe décuplée. J'entendis le silence, puis le bruit recommença, plus proche. C'était un son long et grave qui allait crescendo.

Je le connaissais. Oui, ça m'était familier.

Je fermai les yeux pour accroître ma capacité auditive quand mon sens olfactif me livra une information capitale : l'endroit sentait le bois, la forêt, la pluie et un peu le renfermé... rien d'autre.

Il n'y avait pas la moindre odeur de sang.

Le bruit recommença, comme une sirène transcendant la brume d'un vaste océan, et toujours cette impression familière, presque rassurante d'un appel amical.

Soudain, quelque chose me mordit à la cheville.

— Merde, Blake ! pestai-je par réflexe en baissant les yeux.

Ma sœur était bien là, sans la moindre tache de sang sur ses babines. Elle hurla à nouveau. Alors, tout devint clair.

— C'était une illusion, compris-je.

Les Surnaturels n'y étaient pas sensibles, contrairement aux humains. Cela signifiait que je perdais de plus en plus ma nature double... et que tous mes coéquipiers étaient vivants !

Je fis volte-face pour les voir se déplacer et réagir face à des images qu'ils croyaient réelles. Je me mis à la recherche de Sitjaq que je trouvai près de la cuisine, les mains vides tendues devant lui comme s'il tenait un pistolet. Quand mes doigts effleurèrent son épaule pour signaler ma présence, il sursauta et se tourna vers moi sans pour autant me voir. C'était ce qui avait dû m'arriver dans le couloir, quand j'avais été bousculé. J'avais dû percuter un collègue. Je tentai de l'appeler plusieurs fois, de plus en plus fort, sans le moindre résultat. L'illusion était si puissante que je ne pouvais pas l'en sortir sans aide. Blake et moi retournâmes dans le dortoir des hommes où Kangee était en pleine méditation.

Le Souffle du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant