Chapitre 9 - Partie 2

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Je tournais en rond comme un loup en cage en jetant des regards répétés à l'horloge de la cuisine. Mon couscous était prêt, j'étais douché et habillé mais incapable de me tranquilliser. Sitjaq et moi parlions beaucoup, que ce soit avant les missions ou pendant, quand elles nous le permettaient. Autrement dit, c'était toujours dans un environnement professionnel. J'avais peur qu'une fois seul avec lui pour le repas, je ne sache pas quoi dire et qu'on n'ait, finalement, que peu de sujets de conversation en dehors de notre boulot.

De toute façon, ce n'était pas important. Je devais garder en tête la raison de cette invitation : j'avais besoin d'informations, rien de plus. Ce n'était pas un rendez-vous. Ça n'avait rien à voir avec moi, avec lui.

Alors pourquoi mon cœur battait-il la chamade ? J'aurais aimé le frapper pour le calmer ou juste arracher de mes entrailles ce foutu besoin d'être près de Sitjaq quoiqu'il m'en coûte car, à force, je finirais par me blesser à croire à l'impossible.

Je voulais le voir. Juste le voir.

Tout de suite.

Trois coups contre la porte me firent sursauter. Je me ressaisis afin d'aller ouvrir. La main qui invita Sitjaq à entrer tremblait. Il me fallut serrer le poing pour contrôler ma nervosité.

Je devais garder mon calme.

Les banalités échangées, nous passâmes à table. Pour aujourd'hui, Blake avait mangé avant afin de m'éviter une justification au fait que ma louve mangeait du couscous dans une assiette creuse. L'avantage était d'avoir eu confirmation du goût de mon plat, même si je me méfiais car nos papilles de canidés n'étaient pas aussi délicates que nos papilles humaines.

Comme toujours, la conversation commença par le boulot. Il y avait tellement de choses à dire qu'elle dura tout le repas et continua même quand nous passâmes au salon pour le café. En tant que chef, Sitjaq avait régulièrement des nouvelles des autres équipes, contrairement à moi qui n'en obtenais qu'en allant taper la causette à mes collègues.

En milieu d'après-midi, nous sortîmes pour aller « promener Rosie ». C'était à se demander qui promenait réellement qui à en juger par toutes les fois où ma sœur dut s'arrêter pour nous attendre. Même si l'air était un peu frais, il faisait beau, et la vue dégagée sur Seattle était à couper le souffle depuis le sommet de Beacon Hill.

De retour dans mon salon, je vis avec étonnement la pendule afficher dix-huit heures. Si j'avais eu peur de notre absence de conversation, j'en venais à ne plus vouloir le laisser partir. Je profitai de sa présence durant le repas du soir pour aborder enfin ses origines.

— Ça ne te manque pas, parfois ?

— L'alcoolisme de mon père ? Non, avoua-t-il. Il y a des endroits où les ravages du passé ont laissé de profondes blessures. J'avais besoin de voir autre chose.

— Et ta culture ?

— Je viens d'un village qui n'a pas réussi à se la réapproprier. Quand j'étais ado', j'ai participé à un programme mis en place par la Qikiqtani Inuit Association afin d'apprendre des anciens nos mythes et nos légendes. C'est grâce à ça que j'ai compris qui j'étais, et à quel point j'étais différent des Blancs.

— C'est pas plus mal.

— Tout n'est pas à jeter, répliqua-t-il sans me quitter des yeux.

Son hésitation de la dernière fois avait disparu comme elle le fait chez une personne qui vient de prendre une décision importante.

Sous son regard intense, je me sentis mis à nu et ce fut à mon tour d'être mal à l'aise. Je me raclai discrètement la gorge avant de l'inviter à passer au salon pour le café. Tandis que nous le buvions, je l'amenai à me parler de leur croyance concernant les âmes.

Le Souffle du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant