Chapitre 15

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Blake

Elizabeth et Shane logeaient dans un appartement du groupe situé dans un immeuble en ville. L'endroit comportait assez de chambres pour que l'une d'entre elles me soit dédiée, ce que j'appréciais. Cela me permettait d'avoir ma tranquillité et de ne pas empiéter sur celle du couple même s'il n'avait fait que s'écrouler sur son lit à peine arrivé.

J'avais tourné en rond un moment, flairant le moindre objet, le moindre tissu, mais un ménage récent et impeccable avait dépourvu l'endroit de vie. Le calme de la pièce fit enfler en moi une angoisse irraisonnée. Même sans être prisonnière, je l'étais, car plus que n'avoir aucun moyen de m'échapper, je n'avais aucun endroit où aller.

Je me couchai sous le lit, volonté symbolique de me cacher de ces noires pensées dont je ne parvenais pas à me défaire depuis le début de la relation entre Kieran et Sitjaq.

Qu'adviendrait-il de moi si je ne parvenais pas à retrouver ma nature humaine ?

Cette question, je me la posais depuis des années, plus souvent depuis quelques jours, sans jamais avoir pu y donner une réponse. Pourtant là, dissimulée à la vue du monde, j'eus le recul nécessaire pour y trouver ma place : si je ne redevenais pas complète, je partirai. Même si je n'étais qu'un loup gris, j'étais capable de m'adapter à la vie au Canada ou en Alaska. Qu'importait tant que je me tenais loin des chasseurs. Coupée de tout, je n'aurais ainsi plus aucune raison d'envier une situation devenue invisible dans mon quotidien. À force, je l'oublierai, même s'il me fallait pour ça oublier mon propre frère.

Je n'avais pas ma place en ville. Je ne pouvais aller nulle part sans collier ni laisse, ou alors au prix d'une vigilance épuisante car le moindre humain apeuré me vaudrait d'être emmenée à la fourrière ou d'être abattue. Toutes les terres colonisées par l'homme étaient devenues inhospitalières pour toutes les autres espèces. Le Vivant était repoussé aux portes des villes et des villages comme si nous n'avions aucun droit d'existence sur notre propre planète, tout ça parce qu'un grand singe prétentieux avait construit des armes pour nous tuer. Notre seul tort ? Le déranger dans son obsession de suprématie. Je ne savais pas ce qui était à l'origine de l'étrange évolution de l'être humain, mais le résultat n'était rien d'autre qu'une grave erreur.

Ces réflexions tournèrent dans ma tête, encore et encore, jusqu'à ce que je parvienne à me rendormir au milieu de rêves désagréables.

La voix de Shane me réveilla au moment où le soleil était haut dans le ciel. Il faisait les cent pas et enchaînait les coups de téléphone sans jamais laisser échapper une information confidentielle : il n'oubliait pas ma présence.

On toqua alors à ma porte. Je la vis s'ouvrir sur les pieds pâles d'Elizabeth. Elle ne m'appela pas pour savoir où j'étais. Son premier réflexe fut de s'agenouiller sur le parquet pour regarder sous le lit.

— Tu as réussi à te reposer ?

J'acquiesçai.

— Ça te dirait qu'on mange un bout et que je te parle de mon roman en cours ?

Voilà deux arguments imparables qui me firent ramper afin de m'extirper de ma cachette somme toute pas si cachée que ça. En rejoignant la cuisine, la variation dans la voix de Shane retint toute mon attention. Elle n'était plus celle d'un professionnel, mais celle d'un ami. D'ailleurs il semblait être surpris d'avoir des nouvelles de la personne et de la savoir à Seattle.

Je n'eus pas l'occasion d'en entendre davantage car l'odeur du déjeuner préparé par Elizabeth m'attira vers la cuisine. Je ne fis qu'une bouchée des saucisses grillées qu'elle me servit tandis que Shane la rejoignit.

— Sorata est dans le coin, annonça-t-il à son épouse. Je lui ai demandé de passer. Si quelqu'un a des infos sur Amarok, ça sera lui.

— Je suppose qu'Eagle est avec lui ?

Le Souffle du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant