Chapitre 18

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Blake

Une odeur bizarre me tracassait depuis notre arrivée. Un relent de peur et d'agressivité flottait dans l'air, sans provenance précise, un peu comme si la forêt elle-même était effrayée. Kangee aussi l'avait sentie. Je l'avais observé faire le tour du refuge pour le protéger des mauvais esprits. Quand il avait terminé, il avait posé sa main sur ma tête et m'avait dit : « Fais attention, ce soir. Dans le noir, un humain ne voit rien. » Cela m'avait paru étrange puisqu'étant louve, ma vision nocturne était excellente. Depuis, je m'interrogeais, et ce même quand je me couchai dans un coin du dortoir des femmes.

Sanna demeurait inlassablement silencieuse. La tête baissée et les épaules affaissées comme si elle supportait toute la peine du monde, elle me fit mal au cœur. Notre voleuse, nous l'avions toujours imaginée sans morale, Kieran et moi, alors apprendre qu'elle avait fait tout ça pour venger deux femmes mortes à ses pieds, c'était déstabilisant. Notre opinion s'était retrouvée chamboulée, et nous ne savions plus si nous devions lui en vouloir ou l'aider.

Soudain, le fracas d'un éclair tombé non loin nous fit toutes sursauter.

— Je n'aime pas les nuits d'orage comme ça, marmonna Elizabeth.

— Une phobie des éclairs ? s'enquit Lucie Wong avec bienveillance.

— Non. Un souvenir de fantôme.

— Tu en as vraiment vu un ? s'enthousiasma Charlie Tucker.

Une histoire de fantôme par nuit pourrie, voilà de quoi mettre de l'ambiance. Il fallait dire que voir un esprit était peu probable car l'âme, après le décès, appartenait à un univers différent, avec ses propres règles, son propre territoire, celui des banshees, des valkyries, des ankous et des Esprits-gardiens de l'Autre monde, sans oublier la non moins légendaire et redoutée Mort qui n'était pas une allégorie mais bien une créature à part entière. La seule qu'on ne peut croiser qu'une fois, à moins d'être soi-même exceptionnel.

Ainsi Elizabeth se lança-t-elle dans la narration d'un événement survenu sept ans auparavant à White Mist Hall, son manoir écossais. La conteuse avait même pour l'occasion réduit la luminosité à une unique lampe afin de donner plus de corps à son récit qui nous donna par moments la chair de poule. Même Sanna avait levé la tête, sans doute pour découvrir un peu plus ce monde dans lequel elle avait été projetée contre sa volonté. Ce qu'Elizabeth nous raconta était plus qu'une histoire de fantôme. C'était surtout une histoire d'amour et d'entraide pour permettre à une défunte de trouver une paix méritée, car tout ce qui n'était pas humain agissait rarement par méchanceté.

Un courant d'air m'électrisa soudain la peau. Si Elizabeth, Charlie et Lucie ressentirent seulement un frisson, je vis au regard inquiet de Sanna qu'elle aussi avait senti autre chose. Je me désintéressai de la conversation – qui de toute manière touchait à sa fin – pour écouter attentivement tout ce qui se passait à l'extérieur de notre dortoir. Aucun bruit ne me parvenait de celui des hommes, de l'autre côté du couloir, et dehors le ciel faisait un tel vacarme que je n'aurais même pas entendu arriver un wendigo. Ma concentration était telle que je fus surprise de voir la lumière s'éteindre. Mes camarades s'étaient couchées, tout comme Sanna, menottée à son lit situé entre celui de Lucie et de Charlie.

Le silence de la chambre amplifia le bruit de l'orage. La lumière des éclairs perçait par les importants interstices des volets clos usés, projetant dans la pièce des ombres fugaces aux contours torturés. Un instinct primaire affûta mes sens et accéléra les battements de mon cœur.

Il y avait quelque chose, j'en étais certaine.

Pourtant les minutes passèrent avec la torpeur d'un dormeur alangui, mettant ma vigilance à l'épreuve jusqu'à ce que, vaincue, elle soit incapable d'empêcher mes paupières de se fermer.

Le Souffle du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant