Chapitre 20 - Partie 1

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Blake

Suivre une piste au milieu d'un orage même décroissant n'était pas chose aisée, surtout en étant ralentie par des bipèdes qui, même rapides et endurants, restaient bien plus lents que moi. Je calquai donc mon pas sur le leur afin de ne pas les semer en route. Dans un décor forestier, c'était le meilleur moyen de les perdre.

La pluie avait diminué d'intensité, ce n'était plus qu'un fin crachin arrêté en majorité par la frondaison des arbres centenaires. Malgré tout, nous étions tous à la merci d'une température proche de cinq degrés que la brise refroidissait encore. Si les vêtements imperméables des Stratton leur avaient évité la douche, l'humidité de l'air devait leur mordre la peau.

Ma petite taille me permettait d'évoluer avec aisance au milieu des arbustes et branches basses là où les humains devaient forcer le passage. Tant mieux, car cela devait remettre en mémoire à Kieran tous les avantages d'être un loup et par là même rappeler sa nature double à son bon souvenir. Ma truffe à l'affût suivait toujours l'odeur diffuse de Sanna jusqu'à ce qu'au détour d'un imposant rocher, elle ne gagne en épaisseur : nous nous rapprochions d'elle.

L'excitation provoquée par la chasse et le repérage d'une piste me fit petit à petit oublier la raison de ma présence ici. J'avançais par réflexe, me semblait-il. D'ailleurs, pourquoi je marchais aussi lentement ? Je n'arriverais à rien en traînant la patte.

J'accélérai l'allure, zigzaguant sur les sentiers empruntés par le gibier, sautant de tronc en rocher tandis que s'élevait derrière moi un cri étrange auquel je ne prêtai pas attention. Je me laissai guider par l'odeur de ma cible que je pus bientôt entendre ahaner.

Nouveau cri en contrebas. Ça ressemblait à des humains. Je ne devais pas rester là, mais je n'en oubliais pas mon repas, car j'avais faim. Je m'élançai au galop afin de creuser la distance avec les intrus.

Soudain je la vis, ma proie. Elle courait dans le noir, se blessant coup sur coup, emplissant la forêt d'un alléchant parfum de sang. Je la vis chuter et disparaître de mon champ de vision, sans doute à cause d'un dénivellement qu'elle n'avait pas remarqué. C'était ma chance ! J'accélérai l'allure et bondis quand un rugissement vibrant me coupa dans mon élan. Je me réceptionnais à peine sur mes quatre pattes que je sautai sur le côté pour éviter les griffes d'un wendigo de mauvaise humeur. La bestiole humanoïde au corps de glace et aux dents démesurément longues avait aussi flairé le sang. Elle tenait d'ailleurs l'humaine prisonnière sous son autre main. Je me tapis dans un coin avec l'espoir que le monstre me laisserait quelques os à ronger.

Quelque chose agrippa brusquement la peau de ma nuque à cet instant.

****

Kieran

Ma course effrénée pour ne pas perdre ma sœur m'avait tellement crevé qu'en voulant l'attraper par le cou, je me vautrai sur elle. Elle couina de surprise puis grogna. Avant qu'elle n'ait même l'idée de me mordre, je la secouai comme un prunier.

— C'est pas le moment de me lâcher, Blake ! Ramène ta conscience ici fissa ! Blake ! Blake !

À force de répéter son nom, je vis ses oreilles se baisser, et son air blasé me convainquit de son retour parmi les humains. Enfin, les métamorphes humains. Mais ce n'était pas le moment de se perdre en digressions car Sanna était en mauvaise posture, prisonnière d'un géant de plus de sept mètres.

Je m'apprêtais à aller l'aider quand un doute me retint : si Amarok ne vengeait qu'une âme, Blake et moi perdrions toute chance de récupérer notre moitié. Par contre, si Sanna était tuée, tous les métamorphes lésés récupéreraient leur bien, nous y compris. Dans ce cas, n'était-ce pas plus prudent de la laisser mourir ici ? Ce n'était pas de notre faute si elle s'était enfuie et avait attiré un wendigo, l'Esprit-dieu ne pourrait pas nous en tenir rigueur.

J'aurais pu me convaincre moi-même si une conversation avec Sitjaq ne m'était pas revenue en mémoire à ce moment-là. En me souvenant des Survivants des pensionnats résidentiels, me revins en mémoire mon héritage d'oppresseur et ma volonté de me racheter. C'était quelque chose que je pouvais faire en acceptant de faire passer des femmes autochtones en priorité. Je devais laisser vivre Sanna afin qu'elle les venge.

Ma décision prise, je lâchai Blake.

— Je compte sur toi pour le distraire pendant que je mets Sanna à l'abri.

Blake fonça. Elle bondit et planta ses crocs dans la main que la créature abattait pour achever sa proie. Le wendigo secoua le bras dans l'espoir de la faire céder, sans succès. Il n'y avait pas plus opiniâtre que ma petite sœur. Quand elle lâcha, ce fut pour harceler la bête de ses crocs en tournant autour d'elle. J'attendis qu'elle capte totalement son attention pour intervenir. Je m'élançai droit vers Sanna qui peinait à se relever. Je passai l'un de ses bras autour de mes épaules avant de la mettre sur ses deux pieds.

— Pourquoi tu m'aides ? s'étonna-t-elle. Amarok ne te rendra pas ta nature double si tu me livres à lui.

— On verra ça le moment venu, répondis-je en la soutenant pour partir d'ici vite fait.

J'entendis alors un choc, puis le couinement de Blake. Au moment où je jetais un bref regard en arrière, les griffes du wendigo me lacérèrent le dos. La douleur vive me coupa les jambes : je m'écroulai de tout mon long, la colonne vertébrale brûlée par la souffrance. Sanna eut la présence d'esprit de s'emparer de mon arme dont elle vida le chargeur sur le wendigo pour qui les balles ne furent que des piqûres. La bête folle de rage se diriger vers nous.

Le Souffle du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant