Chapitre 6

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Blake

Fremont, encore.

Ce quartier revenait trop souvent pour que ce soit une simple coïncidence.

La nièce d'Hailey avait été attaquée sur l'escalier de Wallingford, au niveau de la mosaïque circulaire aux motifs marins fantaisistes qu'une averse récente avait transformé en bijou brillant. Le tonnerre roulait au-dessus de la nue agitée et le parfum de la pluie était partout. En dépit de ça, je parvins à isoler la même odeur à la fois inconnue et familière. J'en venais à penser l'avoir sentie pour la première fois le soir de notre attaque durant laquelle j'avais dû avoir des moments de conscience. Assez pour que l'empreinte de la créature penchée sur moi m'ait marquée.

Je remontai la piste jusqu'en haut des escaliers, puis sur une partie de Wallingford avenue quand il plut de nouveau. Kieran me suivait en silence malgré les gouttes de plus en plus nombreuses. Nous bifurquâmes à gauche, puis à droite deux rues plus loin sous les trombes d'eau qui tombaient à présent. Puis, au milieu de Woodlawn avenue, je m'immobilisai sur le trottoir à l'abri d'un arbre feuillu.

Rien.

Je ne sentais plus rien.

La pluie avait tout effacé.

Mes oreilles se couchèrent de désespoir, accablées par une désillusion lourde à porter car elle était la dernière d'une longue série. Cinq années que nous cherchions, et au moment où nous trouvions une piste, c'était pour la perdre dans les rues. Je baissai la tête, abattue. Kieran s'accroupit à côté de moi avant de m'attirer contre lui.

— Si tu l'as sentie trois fois en peu de temps, c'est que la chose à qui appartient cette odeur est dans le coin. On finira par l'avoir, on a la patience des prédateurs pour nous.

Je ne répondis pas, de quelque manière que ce soit, car je peinais à y croire vraiment. Je savais que ce sentiment d'échec finirait par passer, par céder de nouveau la place à ma volonté, mais pour l'instant il était là, enraciné en moi. Il avait besoin de temps pour s'étioler.

— Et si on passait voir la nièce d'Hailey ? me proposa Kieran. Parler avec elle l'aidera peut-être à se souvenir ?

J'opinai de la tête, puis nous rebroussâmes chemin jusqu'à la voiture sous une pluie toujours abondante, si bien que nous étions encore trempés lorsque nous pénétrâmes dans le hall impeccable de la clinique.

Le groupe Nemeton avait été fondé par un druide anglais en mille-huit-cent-cinquante, d'où son nom particulier. Le nemeton était pour les anciens druides un sanctuaire sacré servant de centre initiatique ou spirituel. Aujourd'hui, chaque établissement était tenu par une Haute-Sorcière éveillée comme Hailey, les druides actuels préférant la nature à la ville. La volonté du fondateur avait été de faire de ces cliniques un lieu pour soigner les humains et les Surnaturels, même ceux chassés par les Stratton, ce qui ajoutait un point supplémentaire de désaccord entre le Cercle des Sorcières et les chasseurs occultes. Si Kieran n'avait été qu'un simple agent Stratton, il aurait été mis dehors illico. À la place, l'hôtesse d'accueil lui donna une carte magnétique afin d'accéder au sous-sol où Hailey Jordan nous attendait.

— À voir vos expressions, j'en déduis que ça n'a rien donné sur le lieu de l'agression, nota-elle en tendant un café à mon frère.

De mon côté, j'eus droit à une serviette chaude et un séchage de pelage par la directrice en personne, tandis que Kieran étendit son manteau sur une patère. Tout en sirotant sa boisson, il demanda la permission de voir la victime. Hailey téléphona à la chambre de sa nièce pour lui transmettre la requête qu'elle accepta.

Nous y fûmes conduits et découvrîmes une jeune femme d'à peine vingt ans avec un beau pansement sur le cou. Hailey profita de devoir le lui changer pour nous montrer la morsure qui avait percé la peau noire de Kristin. Il était impossible de savoir si c'était l'œuvre d'un homme ou d'une femme, et Kristin ne nous apprit rien de plus sur les événements. Elle avait seulement senti quelqu'un de plus grand qu'elle l'immobiliser et la mordre. Quand Kristin avait enfin pu bouger, elle s'était retournée sur un endroit désert, avant de venir directement voir sa tante à la clinique.

Le Souffle du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant