Chapitre 12 - Partie 1

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Blake

Les métamorphes naturels guérissaient plus vite que les autres êtres vivants, ce fut pourquoi je pus sortir de la clinique le lendemain de mon réveil, avec mon bandage tout propre au poitrail. À force d'insistance, je parvins à me faire comprendre d'une Sorcière qui me déposa non loin du siège Stratton. Kieran ne tarderait pas à arriver, et je préférais passer la nuit dans sa voiture plutôt que seule à la maison.

L'autre raison de ma venue était l'espoir d'apercevoir la fille-pierre afin de la dénoncer à mon frère. Je me mis donc à couvert de la végétation abondante bordant l'entrée principale et me couchai dans l'herbe rase bien tendre de ce début du printemps. Le bruissement des feuillages sous la caresse du vent me berça. Les rayons du soleil dansaient sur mon pelage gris, le réchauffant dans le sillage de leur valse. Tout me semblait déborder de vie en comparaison du calme de la clinique, c'était rassurant. Les voitures circulaient, les gens marchaient ou téléphonaient.

— Je ne rentre pas en Angleterre tout de suite, y'a des trucs bizarres ici.

Je redressai la tête, les oreilles bien droites, et ne perdis pas une miette du spectacle offert par un beau brun taillé comme un acteur hollywoodien. Le fantasme qui était en train de naître dans mon esprit mourut dès qu'il me fixa comme s'il allait m'étriper.

Surtout, faire comme si j'étais un animal domestique qui n'en avait rien à faire. J'humai l'air pour donner le change, puis je me recouchai non sans guetter la réaction de l'inconnu. Il se contenta de continuer sa conversation en faisant les cent pas.

J'entendis alors le moteur de la voiture de Kieran qui se gara dans le champ de vision du type bizarre, m'empêchant ainsi d'aller le rejoindre. Un instant plus tard, mon frère serra la main de l'homme avant d'entrer.

Oh, c'était peut-être lui, l'héritier Stratton ? Teddy avait dit que les membres de sa famille n'étaient plus vraiment humains, eh ben je le confirmais. Il était vachement plus flippant. Et je le soupçonnais de me soupçonner de quelque chose, raison pour laquelle je gardais les oreilles basses.

— ... exterminer les Surnaturels.

Je dressai les oreilles ; il avait dit quoi ?!

Nous exterminer ? Pourquoi ? Était-il prétentieux au point de croire son groupe capable d'un tel génocide alors que nous avions dans nos rangs des titans millénaires ?

— Salut, toi, entendis-je près de moi.

Je sursautai dans un bond spectaculaire qui me mit sur mes quatre pattes et fit s'emballer mon cœur. Le beau gosse était accroupi juste là. Comment avait-il fait pour m'approcher sans que je l'entende ?

— Je ne voulais pas te faire peur, s'excusa-t-il en tendant la main.

Surtout, ne pas oublier que j'étais sensé être un animal normal.

Je la reniflai après une hésitation, puis le laissai me caresser. Dire qu'il était encore plus beau de près, c'était incroyable.

— Je ne sais pas où est ton maître mais vu ta blessure, tu ne devrais pas rester seule dehors, demoiselle, dit-il en se redressant. Viens.

Ce n'était pas du tout prudent d'aller avec lui sans rien savoir de ses intentions. D'un autre côté, entrer me faciliterait la tâche pour repérer la fille-pierre. Plus vite j'en terminerais avec elle, plus vite Kieran serait libéré du fardeau que je représentais pour lui.

Je le suivis.

À l'intérieur, j'eus confirmation que j'étais en présence de l'héritier à en juger par la façon dont tout le monde s'adressait à lui. Il me fit passer un portique puis me guida jusqu'à une porte équipée d'un tas de gadgets en guise de protections. Nous prîmes ensuite un ascenseur avant de nous engager dans le couloir d'un sous-sol où une rouquine rejoignit mon guide.

Attendez... Je la connaissais, non ? D'où ? Ça, je ne m'en souvenais pas. De toute façon, j'étais là pour la fille-pierre, pas pour elle. Ce fut donc dans un état de concentration intense que je longeai cet interminable couloir, flairant et triant les différentes odeurs, dont celles de mon frère et de Sitjaq.

Quand, soudain, je la vis.

L'anomalie.

Je me figeai en même temps qu'elle. Si elle avait l'air de vouloir passer inaperçu, je n'avais pas l'intention de la laisser faire. Quitte à me mettre tous les chasseurs à dos, elle ne sortirait pas d'ici libre.

Les oreilles couchées en arrière, les babines relevées, mon poil se hérissa sur mon dos quand je me mis à grogner. Je n'avais qu'une seule chance de l'atteindre, je ne pouvais pas me permettre d'échouer. Je basculai tout mon poids sur mes membres postérieurs pour préparer mon saut. Au moment de bondir, une main ferme me saisit par la peau de la nuque et m'en empêcha : l'héritier Stratton.

Il était hors de question que cette enflure de voleuse s'en sorte ! Je me débattis, jappant, grognant, aboyant jusqu'à voir Kieran et Sitjaq débouler dans le couloir, suivis de tous les agents, pistolets en mains braqués sur moi. Inquiet de me constater prisonnière de son patron, mon frère pâlit, un peu en panique, totalement décontenancé.

Pourquoi ne la voyait-il pas, elle ?!

Mon état d'énervement finit par alerter Kieran. Il montra discrètement les femmes grandes et brunes de son index. Lorsqu'il arriva sur notre cible aux traits caractéristiques des Inuits, je hochai le museau, et je le vis en une fraction de seconde passer de la stupeur à la colère. Lui faire perdre le contrôle n'était pas facile, en particulier au milieu des chasseurs Stratton, mais les traits figés de rage qui marquèrent son visage à cet instant reflétaient le point de rupture de son impassibilité. Cinq années, c'était long lorsqu'on vivait avec le poids d'un manque vital et l'obsession de le combler. Même pour lui, c'était trop.

Il saisit brusquement la femme par la main. Elle la dégagea avec autant de violence et voulut le repousser, mais Kieran fut plus rapide. En trois mouvements précis, il l'immobilisa au sol sous le regard médusé de l'assemblée dont il avait occulté la présence. Même moi je ne la voyais plus alors que l'héritier me broyait toujours la nuque.

— Cinq ans que je te cherche, cracha Kieran. Je ne te laisserai pas partir, Sanna.

On l'avait enfin !

Du moins, presque, car la réalité nous rattrapa en fin de compte. L'héritier Stratton fit des signes à ses hommes. Trois d'entre eux s'emparèrent alors de Kieran qu'ils désarmèrent dans la foulée. La dénommée Sanna en profita pour se relever et s'enfuir. Je la vis arriver dans ma direction en étant certaine qu'elle nous filait entre les doigts encore une fois. Le fait de la voir nous échapper avec autant de facilité me mit dans une rage folle. Quand elle passa à côté de l'héritier Stratton, il ne bougea pas le moins du monde. En revanche, la rouquine saisit la fugitive au vol, la plaqua brutalement par terre et lui immobilisa le coude.

Il avait fallu moins d'une minute au Stratton pour régler le problème dont Kieran et moi faisions hélas partie. Je ne savais pas vraiment si nous avions avancé ou reculé dans l'affaire, nous étions juste en plein dedans.

Le Souffle du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant