Ch. 6 : Le petit salon

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Il est déjà tard lorsque je pénètre dans le petit salon pour m'installer sur la banquette verte. J'ouvre le livre sur un ex-libris au nom de Madame la comtesse Jeon Camille. Je dessine du bout des doigts les arabesques qui encadrent le petit papier. L'ouvrage appartenait-il à sa mère ou à sa défunte épouse ? Je reste un moment les yeux posés, imaginant d'autres mains caressant les pages, d'autres lèvres récitant les vers ...

- Tout va bien ?

La voix de Monsieur Jung Hoseok me tire de ma rêverie.

- Puis-je ? demande-t-il pour ne pas s'imposer.

Je me relève consciente, à nouveau, de n'être qu'une domestique devant un seigneur.

- Je vous en prie, répondis-je penaude.

- Que faites-vous ici toute seule T/P ?

- Monsieur Jeon m'a autorisé à m'installer ici pour lire, me défendais-je.

- Ne soyez pas sur la défensive avec moi, répond-il agrandissant son sourire. Je me questionnais sur le fait que vous étiez seule dans cette pièce. Rien de plus...

Mes épaules se détendent en entendant les mots rassurants du Seigneur Jung Hoseok.

- Et que lisez-vous ? Si je puis me permettre ...

- Monsieur le comte m'a prêté un ouvrage de Victor Hugo "Les contemplations". Connaissez-vous Monseigneur ?

- Oh non T/P ! Je ne suis pas un homme de lettre. La seule chose qui m'anime dans la vie est la vie elle-même ! répond-il dans un enthousiasme contagieux.

- Et qu'est-ce que cela signifie ?

Il se dirige vers moi pour prendre place sur le canapé, tapotant de la main le velours vert pour me faire asseoir à ses côtés.

- Cela veut dire que j'aime la vie ! Ce qu'elle offre, ce qu'elle prend, ce qu'elle engendre, ces aléas, ces contraintes, ces plaisirs. Tout ce que la vie a de bon à m'apporter, je prends tout, je la reçois, je l'embrasse, je l'enlace, je la croque à pleines dents ! ajoute-t-il à sa tirade.

Hoseok Jung m'amuse et je ris sous le joug de sa réplique shakespearienne. Il est un homme exquis, dont le verbe est doux et chantant. Je me suis immédiatement sentie à l'aise près de lui. Son regard est chaleureux et sa joie de vivre illumine les esprits maussades.

- Et comment fait-on cela Monsieur ? Comment aime-t-on la vie de votre façon ?

- Sans retenue T/P ! La vie se joue de nous, de nos émotions, de nos tourments, alors sans restriction il faut la prendre ainsi, comme elle vient.

- Monseigneur, vous n'êtes peut-être pas un homme de lettre mais un fin philosophe c'est certain.

- Le compliment me va droit au cœur Mademoiselle !

- Et alors dites-moi comment un Seigneur qui aime la vie occupe ses journées ?

- Je ne suis pas médecin, je ne suis pas notaire et encore moins comte, je ne suis qu'un rentier qui joui des richesses héritées. Je me contente de laisser fructifier le fruit du labeur d'autrui pour m'assurer de poursuivre mon but. Celui que chacun de nous espère en secret, n'est-ce pas ?

- De quel but parlez-vous Monsieur ?

- De l'amour Mademoiselle ! Du grand amour, celui d'une vie, celui qui réside dans un rien et qui rempli un tout. Je cherche, je ne cesse de chercher, dans chacune celle qui sera la seule et l'unique...

- En somme, vous papillonnez ?

- Appelez cela comme il vous plaira ! répond-il un brin vexé. Mais il n'empêche que c'est le but ultime de toutes les vies sur cette terre, et j'accomplie mon devoir comme n'importe quel homme se devrait de le faire.

Monsieur Le ComteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant