Ch. 19 : La fête de la rose

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- T/P ? Tu es réveillée ? demande Charlotte en passant le bout de son nez par l'entrebâillement de la porte de ma chambre.

- Quelle heure est-il ? lui répondis-je la voix ensommeillée.

- Il est encore tôt mais nous devons nous rendre en ville pour la foire. Tu as oublié ? C'est aujourd'hui que commence la fête de la rose. Nous nous étions promis de nous y rendre toutes les deux avec Jérôme et Anne.

Je me redresse dans mon lit, le corps endolorie par l'agression subie hier. Mes muscles sont douloureux, comme s'ils avaient été pétris, violemment malaxés. Je les étire pour dénouer les points de tension mais rien n'y fait je me sens totalement exténuée et incapable du moindre effort. Charlotte pénètre dans la pièce, elle s'installe à mes cotés sur le petit lit d'une place et entreprend de me masser les jambes pour m'aider à les détendre. Ses mains agiles produisent leur effet et rapidement le sang semble circuler à nouveau dans tout mon être. Elle saisit mes mains et reproduit les mêmes mouvements le long de mes bras. Ses sourcils froncés, elle prend son rôle très au sérieux, son regard concentré sur chaque manipulation, elle s'applique avec douceur. J'obtempère, je laisse mon amie me cajoler, moi qui suis orpheline depuis si longtemps, ses gestes affectueux me vont droit au cœur.

- Ce qui t'es arrivé hier soir ... commence-t-elle timidement. Crois-tu pouvoir le surmonter ?

Je me suis posée la même question cette nuit durant les heures passées à me remémorer les images de mon agresseur penché sur moi, sa main en possession de mon corps, prisonnière de son emprise. Mais j'ai aussi pris conscience de la bienveillance qui m'entoure, celle dont le maître et ses amis ont fait preuve envers moi. Je me rappelle le regard doux et précautionneux de Yoongi, les gestes tendres du docteur et les mots réconfortants du Seigneur Hoseok ... et plus que tout les poings vengeurs du comte, réduisant à néant le visage de celui qui s'en était pris à moi. Je pose mes yeux sur ceux de mon amie, je n'y vois que de la peine et du désarroi, alors à mon tour, je la câline, j'enroule mes bras autour de ses épaules pour la bercer et la réconforter, elle se laisse faire et en silence nos larmes nous échappent.

- Tout ça est arrivé par ma faute, renifle-t-elle dans mon cou.

Saisie par la stupeur, je me détache d'elle et rive mon regard au sien pour l'interroger.

- De quoi parles-tu ?

- Tout à commencer le soir de l'anniversaire de Monsieur le comte. Si j'avais su me dépêtrer de ce bourbier toute seule, il ne s'en serait pas pris à toi par la suite et ton agression d'hier n'aurait jamais eu lieu.

Sidérée par sa révélation, je la regarde stoïque, cherchant un moyen de lui assurer que rien de tout cela n'était sa faute.

- Le seul fautif n'est autre que ce gros seigneur imbu de lui-même. Beaucoup d'entre eux se croient tout permis car notre condition est inférieure à la leur mais en aucun cas nous ne sommes responsables de leurs actes odieux, lui promis-je.

- C'est aussi ce qu'a dit le maître ce matin, m'apprit-elle.

- Le comte vous en a parlé ?

- Il nous a dit qu'il ne tolérait pas ce genre de comportement dans sa demeure et que si l'une d'entre nous avait à faire à ce type de situation, il devait en être informé immédiatement.

Les mots répétés par mon amie me réchauffent le cœur, Monsieur est un homme juste et bon. Le simple fait qu'il est pris le temps de les avertir montre combien il est soigneux du bien être de ses gens.

Ragaillardie par la nouvelle, je m'empresse de me préparer pour descendre en ville avec mes amis, le temps d'une balade sur les pavés des ruelles sinueuses. Le soleil radieux joue avec les têtes blondes des chérubins qui circulent en courant. La foule est dense et les gens sont ravis, les sourires s'affichent, les yeux brillent, les jeunes dames ont sorti leur plus jolies toilettes et ces messieurs se sont apprêtés de leur redingote, parfois élimées mais toujours soignées. Les petites gens, surtout habituées aux durs labeurs, mettent de côtés les tracas du quotidien pour profiter de la fête de la rose. Les rues embaument de leur délicat parfum, les femmes glissent un bouton dans leur chevelure ou à leur ceinture et les hommes en piquent dans la boutonnière de leur vêtement. Les couleurs se mélangent, les arômes aussi, aux fenêtres des bouquets sèchent la tête en bas pour préserver la fleur durant les durs mois d'hiver. Tantôt rose, parfois blanches, mes préférées restent les rouges, comme celles qui illustrent le recueille de Baudelaire, les rouges sang qui métamorphe l'amour, la passion, celles qui vous offrent la promesse du don de soi à travers le don de l'autre. J'aime laisser mes yeux se régaler de la couleur chatoyante, j'aime laisser mes doigts effleurer le velours sensuel, elle est définitivement ma fleur préférée...

Monsieur Le ComteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant