Ch. 2 : La rencontre

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- Enfin il est de retour ! s'exclame Charlotte quand je fais mon entrée dans la pièce.

- De qui parles-tu ?

- Du docteur Kim voyons ! Tu viens de le croiser, n'est-ce-pas ?

- Oui, en effet, et tu ferais bien de rester vigilante avec ce type d'homme si tu veux mon avis, un peu fâchée de la liberté qu'il s'était permis avec moi.

- Tu dis ça parce qu'il t'as complimenté ? me demande-t-elle taquine.

- Comment le sais-tu ?

- Parce qu'il est comme ça avec nous toutes, Monsieur Taehyung est un beau parleur mais c'est aussi ce qui fait son charme ! conclue-t-elle guillerette.

Je ne sais pas si je suis encore agacée par les propos de Monsieur ou bien un peu vexée qu'il s'adresse à toutes les domestiques de cette manière mais mon humeur si joyeuse se teinte légèrement.

Madame Chang nous interrompt pour me demander de porter cette carafe de liqueur à notre invité qui attend Monsieur Jeon dans son bureau. Un peu honteuse et encore troublée par l'arrivée du docteur, je me dirige fébrile en direction de la pièce où le gentleman attend passivement, regardant par la fenêtre les mains dans le dos. Je me présente dans l'encadrement mais il ne se retourne pas, je toque à la porte pour attirer son attention. Quand enfin il daigne me regarder, son visage tout à l'heure si souriant est désormais fermé et soucieux. D'un geste de la main, il me prie d'entrer, je dépose le plateau sur un guéridon et m'apprête à lui servir un verre quand il me demande.

- Avez-vous rencontré Jungkook ?

- Qui est Jungkook Monsieur ?

- J'en déduis que non ... Jungkook est le comte Jeon.

- Je l'ignorais Monsieur. Souhaitez-vous un verre de cognac ?

Il hoche de la tête et poursuit.

- Il est possible que Jungkook, enfin le comte Jeon se montre un peu abrupte avec vous ...

- Pour quelle raison ferait-il cela ? demandais-je surprise par son discours.

- Peu importe la raison, il faut que vous soyez patiente avec lui. Pouvez-vous l'être ?

- Je ne comprends pas bien pourquoi mais s'il le faut, je le serais.

Il semble soulagé de ma réponse car à nouveau son visage s'illumine d'une gaieté non dissimulée. Il prend le verre que je lui sers et le vide d'un trait avant de m'annoncer qu'au vue de l'heure tardive Jungkook ne rentrerait pas ce soir pour dîner. Le docteur, avant de quitter le bureau, dépose un baiser à peine perceptible sur le dos de ma main et me souhaite une belle soirée comme si j'avais été la maîtresse de cette maison.

En redescendant aux cuisines, j'avertie que notre invité a pris congé prétextant que le comte ne reviendrait pas aujourd'hui.

- Il rentrera probablement dans la nuit en compagnie d'une maîtresse, s'enquière Charlotte.

Sa remarque ne semble offusquer personne car Madame Chang me demande de monter préparer la chambre de Monsieur.

En longeant le couloir jusqu'à la pièce, je prends le temps d'admirer les œuvres accrochées aux murs. Pour la plupart, il s'agit de portrait de famille mais au milieu d'eux une peinture attire mon attention, celle d'une femme allongée dans une nuée de roses rouges, son regard est dirigé vers le ciel et pourtant elle m'hypnotise comme si elle s'adressait à moi, ses doigts effleurent les pétales couleur sang de la même teinte que ses lèvres. Le maître à un goût certain pour les œuvres d'art, peut-être avait-il fait disposer ces toiles pour l'arrivée imminente de son épouse ?

J'ouvre les portes de la chambre pour découvrir un lieux très masculin, le grand lit en baldaquin de bois noir trône au milieu du mur recouvert d'une tapisserie aux teintes gris foncé. Les lourds rideaux au tissu ocre n'offre pas plus de luminosité. Le mobilier du même matériau que le lit assombrit encore davantage la pièce, seule une baignoire en céramique blanche posée sur un tapis duveteux, aux tons crème, égaie l'ensemble. Je couvre les fenêtres pour plonger dans l'obscurité la chambre à coucher, j'allume la lampe déposée sur le secrétaire, je tire les draps de couleur claire qui contraste avec le reste et dépose sur le chevet une corbeille de fruits ainsi qu'une bouteille de vin , combinaison parfaite pour soulager une fringale nocturne. Une veste négligemment jetée sur une chaise m'indique que le seigneur de ces lieux est de belle carrure, les épaules larges et la taille fine d'un jeune gentleman. Je scrute la pièce mais je n'y trouve pas d'autres indices le concernant, pas non plus de portrait ni de frivolité féminine laissant imaginer que Monsieur puisse à nouveau refaire sa vie. Un flacon en cristal sur la commode m'interpelle, il s'agit d'une bouteille de parfum, je l'ouvre et une effluve virile aux senteurs boisées s'en dégage, l'odeur m'enivre, je suis subjuguée par le charme de ce parfum. Je sens encore et mes narines s'emplissent de l'arôme, je laisser mes sens se griser, mon âme s'exalter. Suffisamment repu de ma découverte olfactive, je quitte la pièce.

Un peu plus tard dans la soirée, alors que tout le monde est rentré dans ses pénates, j'ouvre, paisible et rassurée de ma première journée, ma valise pour en défaire son contenu. Elle ne contient qu'une seconde robe, dans le même état que celle que je porte, une chemise de nuit, quelques sous-vêtements, un châle en laine qui appartenait à ma mère et au milieu de ce presque rien l'unique livre en ma possession. Un recueil de poème de Baudelaire que je suis parvenue à récupérer avant de quitter la maison de mes parents. Je le porte à ma poitrine comme on cajole un enfant, je le sers contre moi pour me rappeler que je n'ai pas toujours été seule. Sa couverture usée par le temps et les pages cornées sont le témoin du nombre incalculable de fois où je l'ai ouvert pour lire et relire sans cesse les vers de ce poète extraordinaire. Mon livre à la main, je redescends explorer les recoins du château, espérant y découvrir une cheminée allumée près de laquelle je pourrais m'installer pour redécouvrir les œuvres de mon auteur favori. Je sors des quartiers des domestiques, je prends l'escalier en colimaçon de pierre pour rejoindre le rez de chaussée. Je flâne dans le château désert, écoutant le bruit du vent dans les branches et le hululement d'une chouette. Les sons m'apaisant, je découvre un petit salon dans lequel personne ne séjourne et dont la banquette verte semble idéale pour une lecture au coin du feu. Je m'y installe, espérant ne déranger personne. Au troisième sonnet du recueil, le claquement d'une porte me fait sursauter, je m'approche pour tendre l'oreille tout en veillant à rester cachée derrière le panneau de bois entrouvert. Deux silhouettes apparaissent dans mon champs de vision, celle d'un homme à la haute stature et celle d'une femme parait d'une robe aux tons orangés, l'homme semble la diriger en la tirant par la main mais elle ne l'entend pas de cette oreille et le fait s'arrêter au milieu du couloir. Elle s'adosse au mur et l'attire à elle, il recouvre ses lèvres des siennes, pressant son corps contre le sien, un gémissement proche du râle lui échappe, elle le repousse pour déboutonner sa veste mais il la retient.

- Tu veux vraiment que je te prenne ici ? demande-t-il avec une voix roque chargée de promesses.

Alors que la demoiselle glousse sous les paroles choquantes, un hoquet de surprise m'échappe et l'homme se retourne. Dans une demi clarté il capte mon regard, s'y accroche et ses sourcils se froncent m'informant de son mécontentement. Je ne vois pas clairement ses traits, il s'agirait plutôt d'une ombre aux prunelles noires, mais mon cœur s'agite, je panique à l'idée qu'il puisse venir jusqu'à moi, l'homme agacé par ma présence, saisi sa proie par le poignée pour l'entraîner dans la pièce du fond. Je sors du salon pour repartir en direction de ma chambre avant de me rendre compte que le couloir n'est autre que celui où se trouve la chambre à coucher du comte Jeon.

Monsieur Le ComteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant