Ch. 10 : La promesse

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Bien à l'abris dans ma chambre, la lumière éclairant timidement la pièce, les feuilles frémissantes sous la brise, je ne parviens pas à chasser Monsieur de mes pensées. Le baiser échangé semble brûler encore mes lèvres. Ses mains sur moi sont toujours présentes, elles me caressent, me cajolent dès que je ferme les yeux. Je connais les rudiments de l'amour, j'ai lu et entendu, j'ai souvent croisé le regard amoureux de mes parents mais ce ne sont que des théories. L'effet que produit cet homme sur moi est nouveau, jamais je n'avais ressenti quelque chose d'aussi intense, jamais rien ne m'avait si profondément ému. Il est à la fois si tendre et si distant avec moi, je ne sais comment l'aborder mais je dois me faire la promesse de ne pas réitérer l'acte du grenier.

Deux coups frappés à ma porte me sortent de ma réflexion. Je me dirige vers le panneau de bois pour ouvrir à cet invité nocturne. Jungkook se trouve devant moi, l'air penaud, sa main glisse dans ses cheveux et ses yeux me fuient.

- Bonsoir T/P ...

- Puis-je vous être utile Monsieur ?

Il m'impose sa large stature, il me fait reculer pour pénétrer dans la pièce. Il sort de sa poche un petit flacon de verre, aux reflets mordorés, et m'explique qu'il a décrit mes cicatrices au docteur, lequel m'a prescrit ce remède. Je suis abasourdie par sa révélation, comment a-t-il pu en parler à Taehyung ? Il semble comprendre mon questionnement et s'empresse de s'expliquer.

- N'ayez crainte ! Je n'ai pas donné de détail à Taehyung. Je lui ai simplement ...

- Qui ? Qui vous a demandé de parler de mes cicatrices ? l'accusais-je.

- Ne vous fâchez pas ! Je veux juste vous aider. Je ne cherche qu'à ...

- A quoi ? le coupais-je. A me cajoler pour me mettre dans votre lit ? Comme vous le faites déjà avec vos nombreuses maîtresses ?

- Vous êtes injuste T/P.

- Sachez Monsieur le comte que je ne suis pas aussi naïve que j'en ai l'air.

- Et je ne me permettrais pas d'en douter mais votre caractère de cochon vous dessert Mademoiselle. Si vous preniez, un temps soi peu le temps de m'écouter, vous auriez compris que je ne cherchais qu'à me faire pardonner ma conduite de cette après-midi ! crie-t-il.

- Que dites-vous ?

- Je tiens à vous présenter mes excuses. Ma conduite envers vous était inappropriée. Je ne me suis jamais caché de vouloir prendre soin de mes gens mais ce qui s'est passé dans le grenier n'aurait jamais du se produire. Vous êtes une jeune femme remarquable, soyez-en sûre, mais je suis votre employeur et de ce fait il ne peut y avoir d'ambiguïté entre nous. Maintenant, si vous le permettait, je dépose ce baume que vous appliquerez deux fois par jour pendant quinze jours et je vous souhaite une bonne nuit ! sur ces derniers mots il quitte la chambre refermant derrière lui la porte.

Comment suis-je sensé réagir à ce qu'il vient de me dire ? Je cogite, ma réflexion embuée par mes émotions, des larmes perlent aux coin de mes yeux. Je ne réussis pas à chasser le souvenir de ce baiser, mon premier baiser ... Aucun autre n'avait jamais franchi la limite du baise main et voilà que lui détruisait toutes les barrières sur son passage, emportant mon cœur avec lui. Je me suis fait la promesse de l'oublier mais en réalité je fait le douloureux constat de mon amour naissant. Je vais devoir surmonter ce fléau seule mais mon Dieu ... comme c'est douloureux !

°°°°°

Les jours qui suivent, je me plonge corps et âmes dans les tâches domestiques, astiquant, récurant les moindre recoins. Souvent agenouillée, mes genoux commencent à être douloureux et Charlotte s'en aperçoit.

- Tu devrais te rendre à la rivière pour tremper tes jambes !

- Elle est bien trop fraîche pour ça ! rétorquais-je.

- C'est justement l'intérêt. Le froid aide à la circulation du sang et vivifie, tu devrais essayer ! m'assure-t-elle.

- Comment sais-tu tout ça ? demandais-je surprise de ses connaissances.

- Certes, je ne suis pas allée beaucoup à l'école mais ma grand-mère était une sorte de guérisseuse, elle m'a enseigné quelques rudiments.

- Je vois ... Et tu sais lire ?

- A peine, m'avoue-t-elle. Je décrypte une liste de courses et encore ... répond-elle un peu triste.

- Tu voudrais que je t'apprenne ? proposais-je.

- Tu ferais ça pour moi ?

- Bien évidemment !

- Je crois que j'adorais, répond-elle enthousiaste.

Dans l'après-midi, Charlotte et moi descendons en ville pour faire nos emplettes. Il était prévu que nous changions nos toilettes, alors je suis mon amie chez une couturière pour trouver un chemisier à porter au château. Je jette mon dévolu sur un tissu en coton léger, brodé de motifs floraux enchevêtrés dans des arabesques. Mon binôme, plus habituée que moi aux coquetteries, choisie un chemisier en mousseline dont l'échancrure est bordée d'une dentelle fine et délicate. Bras dessus, bras dessous, nous poursuivons notre chemin dans les rues pavées et animées des commerçants, léchant les vitrines de confiseries et les pâtisseries odorantes. Charlotte est une jeune femme souriante et enjouée, elle mène la marche et ne se défait pas de sa bonne humeur. Lorsqu'elle énonce le charme du docteur Kim Teahyung ses joues se colorent d'un rose luisant laissant apparaître quelques tâches de rousseurs sur son nez. Elle est un délice pour les yeux et les oreilles, je me réjouis d'avoir fait la connaissance d'une personne aussi charmante qu'elle. Cette vie au domaine m'apporte tellement de joie que malgré ce que j'endure auprès du comte Jeon, je lui serais éternellement reconnaissante de m'avoir fait entrer dans sa maison. Notre promenade nous conduit devant une librairie dans laquelle j'entre pour me procurer des feuilles, de l'encre et une plume. Notre première leçon d'apprentissage aura lieu ce soir après notre service.

- T/P ?

Mon sang se glace lorsque nous sortons de la boutique et que cette voix trop familière m'interpelle. Charlotte comprend ma stupeur, elle saisi mon bras pour me soutenir et faire face à ce pauvre homme en guenilles, dont le sourire édenté me lève le cœur.

- T/P, c'est bien toi ma nièce ?

- Bonjour mon oncle, répondis-je la gorge nouée.

- Ma chère nièce, s'exclame-t-il. Comme je suis heureux de te revoir et en belle condition si j'en crois tes joues roses et les sacs que tu portes ...

- Je suis navrée mais nous sommes pressées, assurais-je.

- Oui, nous devons être au château dans moins d'une heure, ajoute Charlotte pour soutenir mon propos.

- Et bien c'est entendu T/P, répond-il. Mais je t'en prie, passes nous voir de temps en temps, dit-il l'air faussement bienveillant. Ta pauvre tante est bien malade depuis que tu nous a quitté. Elle serait heureuse de te voir prochainement.

- Je n'y manquerais pas, affirmais-je en tournant le dos à mon ancien bourreau.

°°°°°

C'est un peu plus tard dans la soirée que mon élève et moi nous installons sur la grande table de la cuisine, éclairées par la douce lueur de deux lampes à huile. J'expose devant elle les vingt-six lettres de l'alphabet, Charlotte est très concentrée et appliquée, elle les mémorise rapidement et associe déjà quelques-unes entre elles pour former des syllabes. Même si elle a les bases de la lecture, un gros travail reste à venir mais sa joie est communicative alors c'est dans la bonne humeur que je répète une fois, deux fois, autant qu'il est nécessaire, car cette jeune femme m'émeut et je veux qu'elle sache que je l'aiderais autant que possible. Elle s'enthousiasme mais rapidement la fatigue de sa journée freine son apprentissage. Une heure aura suffit à achever ma pauvre Charlotte qui ne tient plus sa tête droite, presque affalée sur la table, je lui propose de reprendre la leçon demain soir.


Monsieur Le ComteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant