Ch. 17 : Le bal (première partie)

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Voilà plusieurs jours que l'incident du bureau s'est produit. Je reste contrariée de l'attitude de Monsieur, comment expliquer qu'il m'est nommé ainsi ? Je sais combien il était bouleversé ce jour mais de là à me confondre avec sa défunte femme ... Je ne parviens pas à trouver une excuse logique, et décide de l'éviter pour le moment. Lorsque j'ai quitté ses bras, ce soir là, j'aurais voulu lui crier ma peine, le gifler peut-être mais son regard m'en avait dissuadé. J'avais compris combien il était désœuvré, totalement perdu dans un abysse de sentiments contradictoires. A la fois attristés et inquiets, ses yeux humides semblaient me demander pardon mais je n'avais pu m'y résigner. J'avais passé la porte sans un mot pour lui, sans même me retourner...

- Tu veux bien m'aider à installer les nappes ? me demande Charlotte en passant près de moi les bras chargés de tissus blanc. J'adore les jours de bal. Les Seigneurs sont si élégants et les toilettes des dames si raffinées, s'enthousiasme-t-elle.

Je suis plus mitigée sur le sujet, étais-je d'humeur à regarder Monsieur le comte inviter d'autres femmes à danser ? Il le faut pourtant, je ne suis qu'une domestique, je ne peux rien exiger d'un homme avec un titre tel que le sien. Un Seigneur tel que lui doit s'allier à une dame de son rang pour profiter de ses richesses et de ses contacts. Je ne suis en mesure que de lui apporter un peu de distraction et même cela je ne suis pas sûre qu'il soit convenable de l'espérer. Alors que ma réflexion m'emmène sur des pentes sinueuses et lubriques, j'heurte quelque chose, ou plutôt quelqu'un, qui n'est autre que l'objet de mes fantasmes. Il atténue la collision en agrippant mes épaules, ses mains toujours posées sur moi il cherche à accrocher mon regard mais je ne veux pas lui permettre de voir le trouble qui m'anime. Je m'excuse brièvement, prétextant devoir aider Charlotte à l'installation de la grande salle.

- T/P ? m'interpelle-t-il alors que je le fuis littéralement en rejoignant au pas de course mon amie.

Je me stoppe et me retourne sur lui pour déceler dans son regard du regret. Une pointe d'amertume enveloppe ses prunelles et il semble déglutir péniblement avant de poursuivre.

- J'aimerai que nous ayons une discussion, parait-il me proposer.

Je n'ai pas le cœur de lui refuser une confrontation alors je lui propose de nous entretenir demain dans son bureau car avec les préparatifs de ce soir je n'aurais pas de temps à lui accorder. Il oscille de la tête et je m'empresse de rejoindre Charlotte dans la salle décorée pour l'occasion des roses du jardin. Leur parfum qui embaume la pièce est entêtant et je ne cesse d'en humer l'arôme dès qu'un bouquet se trouve trop proche de moi. Les tables recouvertes de mets et de champagne encadrent le parquet de la piste de danse devant laquelle s'installe un orchestre de cuivres. Je suis fascinée par tant de faste et d'ornements. Le Seigneur de ce domaine a vraiment des goûts sûrs en matière de réception.

Les premiers invités font leur entrée dans le grand salon, ils se font annoncer par Monsieur Chang, le majordome reste stoïque près du rideau rouge tiré sur le couloir de leur arrivée. Des couples assortis se regroupent en petits comités restreint afin de pavoiser à leur aise. Les trois amis de Monsieur arrivent, comme à leur habitude ensemble, ils portent des smoking d'une élégance folle et leur port de tête sublime donne à ces trois hommes une prestance à couper le souffle mais Monsieur n'a rien a leur envier. Dans un costume trois pièces, il entre par une petite porte dérobée qui donne accès à son bureau, sa tentative de discrétion est ratée car à peine a-t-il mis un pied dans la pièce qu'une flopée de jeunes demoiselles s'agglutinent autour du bellâtre. Sa posture droite et sa main glissant dans ses cheveux indiquent qu'il n'est pas à l'aise entouré de cette cour improvisée. C'est le Seigneur Hoseok qui lui vient en aide, l'entraînant dans un coin à l'abri des regards, au moins le temps qu'il recouvre ses esprits. Charlotte, la jeune Anne et moi-même sommes les préposées au service ce soir, nous circulons dans la grande salle pour proposer des rafraîchissements ainsi que des amuses bouches aux convives. J'observe du coin de l'œil Monsieur se faire entraîner sur un balcon par une belle blonde, vêtue d'une robe de soie jaune or aussi brillante que les bijoux qui la pare. Son sourire enjôleur envoûte ceux qui la croise, les têtes se retournent sur son passage.

- C'est une jeune comtesse de la ville voisine, glisse Charlotte à mon oreille avant de poursuivre sa distribution de flûtes.

J'inspire profondément pour me redonner une contenance. Je dois laisser à Monsieur l'espace dont il a besoin pour soigner sa douleur, son deuil doit cesser, il devrait déjà être remarié. Si une jeune femme telle que cette comtesse lui convient alors qu'il en soit ainsi et qu'enfin le comte recouvre sa joie de vivre, tentais-je de me convaincre.

Je déambule entre les groupes éparses des nobles de la région quand Monsieur Chang me prie de bien vouloir faire un tour sur les balcons pour servir les Seigneurs sortis prendre l'air. J'y croise le Docteur Taehyung et Maître Yoongi qui m'accueillent, de larges sourires chaleureux, me remerciant pour les coupes. Je poursuis ma distribution lorsque je tombe sur Monsieur et la jeune comtesse en pleine discussion, elle s'accroche à son bras comme une sangsue, lui la priant de bien vouloir cesser son caprice. Je n'ose m'avancer de peur d'interrompre leur échange. Je m'apprête à m'éclipser quand j'entends la comtesse le supplier de l'embrasser.

- Monseigneur, je vous en prie ... l'implore-t-elle.

- Soyez raisonnable Mademoiselle, je ne puis répondre à vos attentes.

- Juste un baiser, rien qu'un seul. Monseigneur un baiser et je ne vous importunerais plus, demande-t-elle en joignant ses mains.

Monsieur ne parvenant pas à se défaire de cette situation devenue gênante, finit par accéder à sa requête. Il emprisonne son visage juvénile entre ses mains pour déposer un léger baiser sur les lèvres pulpeuses. La jeune femme attrape les pans de la veste à pleine mains pour presser le corps imposant contre le sien plus frêle, obligeant leur contacte à s'intensifier. Elle gémit sous le joug de l'homme qui semble oublier où ils se trouvent, resserrant son étreinte sur la taille de la comtesse il parait apprécier le moment. Mes yeux rivés à la scène, je ne parviens pas à m'éclipser, des larmes menacent de me trahir et mes jambes flageolent sous mon jupon. Le plateau toujours dans mes mains, je reste stoïque près de l'encadrement de la porte fenêtre, admirant, totalement dévastée les deux jeunes gens s'embrasser sous un clair de lune romantique. Une personne, qui se dirige dans la direction du balcon, me bouscule, elle heurte mon épaule et les verres à champagne atterrissent sur le sol dans un fracas monumental. Je ne réagis que lorsque les yeux de Monsieur se posent sur moi, le regard affolé il se dirige dans ma direction pour s'assurer que je vais bien abandonnant sa proie. Je ne lui laisse pas le temps de m'approcher, je fais demi-tour, demandant au passage à Charlotte et Anne de bien vouloir nettoyer pour moi le désastre. Elles acquiescent sans ciller me laissant abandonner le navire pour me réfugier dans un coin, où j'espère personne ne me trouvera. C'est ainsi que mes pas me mènent devant la cave du château, je pousse la lourde porte en bois, je descends les marches en pierre prenant garde de ne pas glisser. Je dépasse une, deux, trois puis quatre rangées de rayonnage remplis des bouteilles de vin du domaine. Totalement désemparée par ce à quoi je viens d'assister, je me laisse glisser au sol, mon dos reposé contre la pierre du mur, je couvre mon visage pour pleurer dans mes mains. Les larmes déferlent, je ne retiens pas le chagrin qui m'anéanti, j'ai essayer de me convaincre que le bonheur de Monsieur était plus important que tout mais l'amour que je lui porte ne cesse d'augmenter. Je vais devoir prendre des dispositions et l'idée d'envisager mon départ ne fait qu'accentuer mon mal et redoubler mes larmes.

Monsieur Le ComteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant