Monsieur Le Comte

Ch. 16 : Funeste anniversaire

Le temps maussade de ces derniers jours ne cesse d'assombrir les cœurs et les âmes de cette maison. Chacun occupé à ses tâches, je ne sais pour quelle raison ils paraissent tous attristés, comme asservis par une lassitude toute nouvelle. Affairée à récurer les cuivres dans la cuisine, j'observe par la fenêtre une voiture arriver. De cette dernière, descendent les trois amis du comte, assez surprise de leur arrivée impromptue, j'en informe madame Chang.

- Ils sont venus soutenir Monsieur le comte, répond-elle le regard chargé d'une expression affligée.

- Pour quelle raison ? insistais-je.

- C'est le jour de l'anniversaire de la mort de Madame et de leur fils.

L'annonce m'assomme littéralement, un frisson me parcourt l'échine et mes yeux se perdent dans le paysage pluvieux des jardins à la française du domaine. J'étais au courant de ce deuil mais je n'avais pas mesuré l'ampleur du malheur qui frappe encore le château aujourd'hui. Depuis plusieurs jours déjà, le maître prenait soin de nous éviter mais je n'avais pas fait le rapprochement avec cette funeste célébration. Il doit être profondément seul en ce moment et j'espère que la compagnie de ses amis l'aidera à surmonter cet énième anniversaire. Toujours perdue dans mes songes, Monsieur Chang se présente au cuisine, me demandant de bien vouloir allumer le feu de la cheminée du petit salon et de leur monter une bouteille de bon whisky. Je m'exécute, très impatiente de revoir ces messieurs dont les dernières visites s'étaient faites rares. Je m'approche de la porte entrouverte, les bras chargés d'un plateau sur lequel repose une bouteille millésimée et quatre verres en cristal. Une conversation entre le Docteur et le Seigneur Hoseok m'interpelle car mon nom y est mentionné.

- T/P ? Je ne sais pas. Jungkook ne l'a surement pas mise au courant.

- Lorsque je l'ai rencontré la première fois, j'ai été saisi par la ressemblance. D'ailleurs, je me souviens lui avoir demandé d'être patiente avec lui mais j'avoue que je n'avais pas pensé à Yoongi. Seul le deuil de Jungkook m'a semblé évident.

- Ne crois-tu pas que nous devrions l'éviter pour aujourd'hui ? T/P ne comprendrait pas si l'un d'eux devenait agressif vis à vis d'elle.

- C'est vilain d'écouter aux portes, souffle maître Min dans mon oreille.

Surprise par son intervention, je manque de laisser tomber le plateau. Son regard sur moi est doux et le sourire, qui étire timidement ses lèvres est sincère. Je crois voir cette facette de Min Yoongi pour la première fois et elle me déstabilise un peu.

- Laissez-moi vous aider à entrer, dit-il en poussant la porte du plat de la main.

Restée silencieuse, j'observe en entrant les deux hommes, qui un instant plus tôt parlaient de m'éviter. Mon attitude confuse semble les ennuyer car l'échange dans leurs regards semble vouloir dire qu'ils n'ont pas suffisamment été discrets. Je les salue brièvement, consciente de ne pas être la bienvenue, dépose les verres avant de les remplir et de leur tendre à chacun. Je m'affaire à allumer un feu mais les bûches encore humides, peine à prendre. C'est Yoongi qui s'approche pour me venir en aide. Il s'accroupie à ma hauteur, saisit les allumettes et chiffonne du papier journal dans l'antre, doucement la lumière vacillante éclaire nos visages, et à nouveau son regard sur moi est bienveillant. Je le remercie et m'apprête à quitter la pièce lorsque ce dernier informe ses amis présents qu'ils ne doivent pas se faire de soucis pour lui et que l'important aujourd'hui est de soutenir Jungkook.

La tête basse, en passant près d'eux, le Seigneur Hoseok m'intercepte, il m'attrape par le bras m'obligeant à lui faire face.

- T/P, je suis désolé si vous avez entendu notre conversation mais sachez que même si nous ne pouvons vous mettre dans la confidence, le moment venu vous comprendrez ... ses yeux remplis d'un tel désespoir me fendent le cœur, d'un geste amical, j'enferme ses mains dans les miennes et lui assure que je resterai discrète.