Ch. 39 : La missive

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- J'aimerai beaucoup que vous réfléchissiez à un sujet de rédaction pour demain.

Joon, assis dans le fond de la classe, lève la main pour prendre la parole.

- Mademoiselle, la saison des foins vient d'attaquer, je ne sais pas si je pourrais venir le reste de la semaine, m'informe-t-il.

Un brouhaha ambiant suit les propos tenus par le jeune garçon. Je tente de calmer les esprits.

- Je suis au courant que chacun de vous risque d'être occupé aux champs avec vos parents. Ceci-dit, je reste à votre disposition au moment où vous le souhaiterez. Dès que vous disposerez de temps libre, je répondrai présente. Ne vous faites aucun soucis, nous rattraperons le retard pour ceux d'entre vous qui ne pourrons pas venir.

Des sourires de soulagement se dessinent sur les visages juvéniles. Je sais combien il leur est difficile d'allier scolarité et travail à la ferme. Je m'adapte à chacun d'eux pour ne laisser personne à la traîne. L'heure de quitter la classe est venue et avec elle le vacarme tonitruant des chaises qui raclent le vieux pavé. Tous les enfants partis, j'entreprends de ranger quelques manuels et alors que je m'apprête à redescendre, je croise une des nouvelles domestiques.

- Mademoiselle ?

- Oui ? 

- Je vous apporte un courrier qui vient de vous être livré, dit-elle en me tendant le papier bleu reconnaissable entre mille.

Depuis ma rencontre avec la Duchesse de Franckois, nous entretenons une correspondance assidue. Pas moins d'une lettre par mois m'est adressée pour ma plus grande joie. La Duchesse est une femme adorable dont l'esprit vif et le verbe aiguisé apporte une plus valus enrichissante à ses courriers. Je remercie la jeune femme et me dirige vers la bibliothèque, où Jungkook a eut la délicate attention de me faire installer un bureau sur lequel je m'installe pour m'adonner à ma nouvelle passion qu'est l'écriture. Je découpe le cachet de cire dont le sceau de la Duchesse est proprement apposé et déplie le papier de grande qualité.

" Ma chère T/P,

je vous adresse cette nouvelle missive pour prendre de vos nouvelles. Lors de votre dernier courrier, vous m'informiez des préparatifs d'un mariage. Tout c'est-il déroulé comme vous le souhaitiez ? Peut-être aurez-vous le bonheur de m'annoncer prochainement le votre ? J'espère, si tel est le cas, que vous me compterez parmi vos invités. Vous savez combien j'ai pleuré lorsque ma fille s'est enfuie pour convoler en noces sans m'en avertir. Maintenant que mon mari s'est enfin réconcilié avec le Comte et que nous sommes devenues de bonnes amies, je serai ravie de vous assister comme une mère en ce jour si important. Mais cessons de prédire ... Dites-moi plutôt comment se portent vos élèves ? Vous donnent-ils beaucoup de fil à retordre ? J'ai cru comprendre que la saison des foins arrivait, vont-ils devoir s'absenter pour aider au champs ? Vous devez sans doute me trouver bien sotte avec toutes mes questions mais j'aimerai tellement en apprendre plus de vous et de votre quotidien. M'autoriserez-vous à venir vous rendre visite aux beaux jours ? Je ne veux surtout pas devenir envahissante mais plus le temps passe et plus il m'est difficile d'attendre vos lettres. A chacune, je vous découvre un peu plus et j'avoue que vous me fascinez. T/P je n'ai jamais rencontré une âme si brillante que la vôtre. Je ne parviens pas à comprendre comment une gouvernante peut-être aussi éclairée sur tant de sujets. Vous êtes une autodidacte, cela est certain mais j'affirme une énième fois que votre instruction est digne d'une lady. Je sais combien je vous mets mal à l'aise lorsque je tiens ces propos alors veuillez m'en excuser. Je crois que je suis perturbée par l'actualité quelque peu mouvementée. Vous n'êtes peut-être pas encore au courant de la menace qui gronde à nos portes  mais sachez que le pays frontalier au Nord est sur le point de nous déclarer la guerre. Des territoires neutres entre nos deux patries sont sous le joug d'une injonction. Les chefs de clans veulent reprendre ce qui leur appartient sous prétexte d'un traité de paix non respecté. Il semblerait qu'il s'agisse d'excuses fumeuses pour attaquer nos rangs et nous détrousser de nos terres. Je ne cherche pas à vous affoler et vous m'en voyez navrée si c'est le cas mais moi-même j'ai du mal à contenir mon angoisse. Oh T/P pardonnez-moi, mon esprit s'embrume lorsque j'imagine notre pays rentrer en guerre, je ne suis plus rationnelle et invente surement un mal qui n'est que moindre. Lorsque vous répondrez à ce courrier, donnez-moi des nouvelles de votre amie Charlotte, racontez-moi comment elle s'en sort avec ses études d'infirmière. Rapportez-moi aussi des derniers potins concernant la jeune Duchesse de Malte, son idylle avec le Seigneur Jung est aussi palpitante qu'un roman de Jane Austen. Vous l'aurez compris, en dehors de notre correspondance, je n'ai que peu de distraction et de vous lire me met du baume au cœur. Je me réjouie de découvrir à chacune de vos lettres, vos avis éclairés et vos conseils avisés. 

Monsieur Le ComteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant