Ch. 45 : Révélation

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Je m'étais débrouillée pour me faire la plus discrète possible durant ma dernière journée au château. Les domestiques, tous affairés à leurs tâches quotidiennes, n'avaient probablement pas remarqué mon absence. Quant à Jungkook, surement terré dans son bureau, n'avait que faire de moi et de mon emploi du temps. Les heures avaient défilé à toute allure et le gargouillis de mon estomac me rappelle que je n'ai rien dans le ventre depuis hier. Etant donné que je risque de rater le dîner de ce soir, il serait préférable que je descende en cuisine quémander un petit bout de quelque chose. Je rejoins la pièce où se trouve toujours Madame Chang, la bonne cuisinière ne se doute pas de ce qui se joue en ce moment et pour ne pas éveiller ses soupçons, je dois faire bonne figure devant elle. J'inspire un bon coup et déboule près d'elle sans manquer de la surprendre, elle lâche sa cuillère en bois dans le bouillon et cette dernière atterrie dans le fond de la marmite en cuivre.

- Mais c'est Dieu pas possible de me faire des frayeurs pareil ! m'invective-t-elle.

- Désolée Madame Chang, la priais-je de me pardonner.

- Que venez-vous traîner par ici ? Je croyais vous avoir déjà dit que ce n'était pas votre place !

Sa dernière réplique m'étreint le cœur. Si la pauvre femme apprenait que c'était la dernière fois qu'elle m'y vois, elle serait surement anéanti par le chagrin. A moins qu'elle aussi ne maquille ses sentiments à mon égard ? Peut-être qu'en réalité je ne manquerai à personne dans cette maison ... Je me ressaisis et lui demande un petit en-cas à grignoter. Elle s'empresse de plier deux sandwichs dans un torchon propre et d'y ajouter une pomme qu'elle prend la peine de frotter contre son tablier. Je me saisis du paquet mais avant cela j'essaie d'imprimer le regard qu'elle pose sur moi à cet instant. Il me parait si doux et bienveillant que j'ai peine à croire que je ne lui manquerai pas même un tout petit peu. Je lui souris et retourne dans ma chambre.

J'avale les petits pains tartinés de pâté et de fromage et glisse le fruit dans mon paquetage en prévision de mon unique met pour le dîner. Il est presque l'heure pour moi de m'en aller et mon humeur s'assombrit à la même allure que les nuages menaçants qui couvrent le ciel. La pluie s'annonce forte et le vent qui se lève progressivement ne prédit rien de bon. En scrutant par la fenêtre, je me remémore cette après-midi près de la rivière où nous avions été surpris par un orage, c'était la première fois que j'envisageais le Comte comme un homme à part entière. Je revois les gouttes de pluies dévaler sa mâchoire saillante pour mourir dans le col de sa chemise blanche. J'avais imaginé laisser mes lèvres suivre le même chemin, j'étais déjà éprise de lui sur le point d'en tomber follement amoureuse. Le triste constat de mon état m'assaille, mes jambes se dérobent, je m'écroule sur le petit lit et d'autres souvenirs de nous me reviennent. Notamment un échange charnel après une dispute sur cette même couche. Chaque recoin de cette demeure me rappelle combien j'ai été heureuse dans ses bras, combien je me suis sentie vivante près de lui et combien j'ai aimé croire qu'il était en paix à mes côtés ... Les prémices d'une tempête me sortent de ma torpeur, je ne dois plus retarder mon départ. Il me faut arriver en ville avant que l'orage n'éclate et pour cela je dois sortir le plus discrètement possible. Fort heureusement mon baluchon n'est pas très encombrant, j'ai laissé dans la petite penderie les robes offertes par Monsieur ainsi que les chaussures et les bijoux. Je n'ai emporté avec moi que les deux robes avec lesquelles j'étais arrivée. Je ne voulais pas m'encombrer de souvenirs. Ne plus souffrir, c'est le dernier défit que je me donne, celui de ne plus songer, tomber dans l'abîme et fuir cette vie, ce corps, cette âme ...

Lorsque je pousse la porte qui mène à l'arrière cour du château, la pluie déjà s'intensifie. Des flaques parsèment le sol telle de petites mares. J'enjambe la première, mon sac sur mon épaule est alourdi par l'eau qui s'infiltre, je manque de tomber les deux pieds dans une seconde. Mon trajet jusqu'à la ville risque d'être long et fastidieux, je jette un dernier coup d'œil en arrière, le château semble bien triste sous la tempête, on croirait qu'il pleure comme mes yeux qui ne cessent depuis que j'ai passé cette porte. Je me retourne, je fixe mon regard au bout de l'allée, ma vue brouillée, j'avance précautionneusement. Un frisson me parcourt, celui-ci est désagréable, il semble débarquer pour marquer la chute. Elle est triste comme dans les romans de Stendhal où le héro est exécuté à la fin.

Monsieur Le ComteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant