— Madame Valet... Assoyez-vous, me dit-il, le visage sombre, en me désignant un fauteuil face à son bureau.
J'obéis timidement. Son air grave me fait froid dans le dos. Je suis sûre que vous voyez de quoi je parle ! Ce genre de situation qui nous donne envie de prendre nos jambes à notre cou. Malgré tout, j'étais bien décidée à ne pas le laisser me déstabiliser. J'avais toujours soupçonné les médecins sur leurs intentions. Leurs attitudes froides et rigides ne m'inspiraient aucune sympathie. Ils me faisaient l'effet de se sentir supérieur au commun des mortels. Que croyaient-ils en nous narguant avec leurs dix années d'études ? Que nous allions nous prosterner devant eux ? Tout ça pour un mal de tête qui persistait et quelques étourdissements. Bon OK ! Depuis deux mois, j'avais perdu connaissance deux ou trois fois. Une fatigue constante ne me lâchait plus et ma vue se troublait parfois. Sans parler de ces nausées qui me pourrissaient la vie et m'épuisaient.
Minutieusement, il éparpille plusieurs feuilles devant lui. Il prend son temps et ne relèvera pas une seule fois le nez pendant de très longues secondes. Mal à l'aise, je me donne une contenance en examinant les œuvres accrochées aux murs. Je penche la tête, une fois à droite, puis à gauche pour essayer de leur donner un sens. Abstrait... Contemporain... Bref ! Ça ne ressemblait pas à grand-chose.
— J'ai reçu vos résultats de scanner et d'IRM, me dit le neurologue.
Silence.
Mais qu'est-ce qu'il attendait ? Qu'on en finisse bon sang ! Surtout qu'il allait me sortir le bla-bla habituel. Janice, une collègue de l'établissement dans lequel je travaille, avait dû consulter pour des vertiges. Elle m'avait décrite toutes ces semaines d'angoisse. Prise de sang... Le discours alarmant de son médecin généraliste... Prescription d'examen imagerie... Rendez-vous avec un neurologue. Il s'est avéré qu'elle n'avait rien et était repartie avec un traitement et un repos forcé. Elle était tellement soulagée et libérée de ce poids. Elle avait tenu à fêter ça ensemble. Nous avons passé la soirée à boire et à ricaner comme deux adolescentes. Le lendemain n'avait pas été aussi joyeux, trop accaparé par notre gueule de bois.
J'ébauche un sourire à cette pensée et attends, nerveuse, qu'il me sorte la même tirade qu'à mon amie.
— Madame Valet... Vous êtes seule ? Personne ne vous accompagne ?
Je trépigne d'envie de regarder sous mon fauteuil et son bureau pour qu'il comprenne l'absurdité de sa question. La raison l'emporte. Je lui confirme par un « non » franc et impatient.
— J'aurais préféré le contraire, insiste-t-il.
Mais c'est quoi son problème ? Il a besoin que je sois accompagnée d'une armée pour m'annoncer que je suis exténuée ?
— Très bien... J'ai sous les yeux les comptes rendus. Nous remarquons une masse sombre à gauche de l'hémisphère droit, zone temporale. Le volume tumoral est important, hétérogène et on constate une déformation de la structure médiane vers la droite, mais aussi....
Et voilà... je décroche.
J'ai toujours eu en horreur tout ce langage médical. C'est incompréhensible et ennuyeux à mourir. Un vrai calvaire pour ceux qui, comme moi, n'ont aucune notion dans ce domaine. Pourtant, j'essaie de fournir des efforts en lui assurant mon écoute par quelques hochements de tête. Malgré tout, je suis hypnotisée par le grain de beauté qui se trouve juste au-dessus de sa lèvre supérieure. Il faut être honnête, je n'ai prêté aucune attention au reste de son monologue.
— Est-ce que vous avez des questions à me poser ?
— Euh... Oui ! Bien sûr. Quand est-ce que tous ces malaises, ces maux de tête et cette fatigue constante vont-ils disparaître ?
— Eh bien... Ça sous-entend une adaptation. Il faudra être patiente et voir si votre situation exige une rencontre avec un cancérologue. Nous pourrons, par la suite, adapter ce qui sera le mieux pour vous Madame Valet.
Dubitative, je m'enfonce dans mon siège en le fixant.
— Pourquoi voudriez-vous que je voie un cancérologue ?
J'attends une réponse pendant qu'il se trémousse dans son fauteuil. C'est peut-être lui qui devrait consulter ! À ce rythme-là, il va se déclencher des hémorroïdes.
— Je pense que vous n'avez pas saisi ce que je viens de vous expliquer. C'est de ma faute. Je n'ai sans doute pas été assez clair. Je m'en excuse. Nous avons pu voir sur vos imageries une grosseur inquiétante et qui plus est, s'est logée dans une partie de votre cerveau qui m'alarme sérieusement. D'où tous ces symptômes que vous m'évoquiez. Avant de faire appel à un cancérologue, il est bien évident que nous devons entreprendre d'autres examens. Nous allons vous hospitaliser et vous programmer une biopsie pour demain. Vous comprendrez que nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre plus longtemps aux vues de l'emplacement et ne sachant pas comment évolue cette masse.
Grosseur inquiétante, hospitalisation, biopsie, cancérologue...
J'ai la tête qui tourne et la nausée qui me reprend.
— Attendez... Je veux être sûre de bien comprendre... Vous me parlez d'une tumeur ?
Prononcer moi-même ce mot, me glace le sang.
— Nous n'en sommes pas totalement convaincus d'où l'hospitalisation que j'évoquais à l'instant.
Je suis figée. Paralysée. Plus rien ne répond. Mes bras, mes jambes, mon cerveau... d'ailleurs, il va falloir que j'aie une petite explication avec ce dernier. J'ai même l'impression de ne plus sentir mon cœur battre. C'est un vrai cauchemar ! Oui c'est ça ! Je me suis encore endormie devant cette série médicale qui fait fureur en ce moment.
— Je comprends que vous soyez terrifiée... Dans un premier temps, nous devons effectuer cette biopsie au plus vite et là nous serons fixés. Je programme une intervention d'urgence pour demain matin huit heures. Il sera nécessaire que vous vous présentiez dans mon service pour six heures. Ma secrétaire va se charger de remplir le dossier avec vous.
Les mots flottent dans ma tête comme des ballons de baudruche incontrôlables. Plus rien n'existe. La pièce dans laquelle je me trouve disparaît. Le vide m'entoure inexorablement.
Je sens tout à coup une main se poser sur mon épaule.
— Madame Valet ? Vous m'entendez ?
C'est encore lui... mon bourreau. Une femme se tient à côté de lui.
— Ma secrétaire va s'occuper de vous.
— Bonjour Madame. Vous voulez bien me suivre ?
Quand est-elle arrivée celle-là ?
J'obtempère encore sonnée. Elle me conduit dans une petite pièce adjacente au bureau du médecin.
— Installez-vous, me dit-elle.
Je m'exécute comme un automate, réponds aux questions et lui fournis les papiers nécessaires. Tout me semble tellement incohérent et surréaliste.
Quand je rentre chez moi, une seule idée me vient en tête ; dormir. Avant ça, je dois prévenir l'établissement pour lequel je travaille. J'explique que je serai absente quelque temps pour raison personnelle. Les jeunes en rupture familiale et scolaire devront se passer de moi. La secrétaire s'inquiète et me demande si je vais bien. Je lui réponds spontanément, essayant de paraître le plus naturel possible. « Oui bien sûr... il s'agit juste d'une petite chose à régler ».
Une petite chose à régler ! Ça ne peut être que ça.
Pas un appel pour ma famille. Non plus pour mes amis. À quoi bon les inquiéter ? Pourquoi alerter tout le monde alors que le neurologue n'a encore aucune certitude sans cette chirurgie ? Je ne leur ai même pas fait part des examens de scanner et d'IRM. Je n'en voyais pas l'intérêt.
Je fais rapidement un sac pour le lendemain. Je règle mon réveil et m'écroule, épuisée.
Ne plus penser. Ne plus me torturer. Ne plus répéter ces mots qui me reviennent en boucle encore et encore. Grosseur inquiétante, hospitalisation, biopsie, cancérologue... Tumeur.
La fatigue a eu raisonde moi. Et tant mieux.
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Une année...le reste d'une vie
ChickLitKristelle voit son monde s'écrouler. Sans son autorisation, une tumeur s'est infiltrée dans son cerveau. Le verdict est sans appel. Il ne lui reste qu'une année à vivre. Sa première intention face à ce cataclysme est de ne rien divulguer à son ento...