Quand je me réveille, Anna dort toujours. Je prends en cachette mon traitement avant de rejoindre tout le monde. Des bruits de fond me parviennent. Mélange de conversations et de tintements de vaisselle. Mon portable m'annonce qu'il est onze heures. Onze heures ? Mes maux de tête n'ont pas disparu avec la nuit. Je fulmine. J'ai aussi reçu un message de Vic.
Vic : « Je vous rejoins pour le repas du midi. »
Quand je me regarde dans le miroir, je laisse échapper un soupir. La tâche va être ardue. Si j'ai mon stock de Duracell, j'ai aussi celui de mon cache-misère. C'est parti pour la métamorphose, à grand coup de fond de teint et de blush. Par chance, une des salles de bain communes se trouve près de ma chambre. Je n'aurai donc pas besoin de me faufiler en mode tortue ninja, en priant de ne croiser personne.
Quand j'arrive dans la cuisine pour me servir un café, je tombe sur ma mère. À ma grande surprise, elle a le sourire. De peur de déclencher quoi que ce soit, je ne lui pose aucune question. Subtilité et patte de velours.
— Bonjour « man ».
— Coucou ma grande ! Bien dormi ?
— Merveilleusement bien. Toi aussi à ce que je vois !
Elle me tourne le dos et me dit presque en chantant.
— C'est une magnifique matinée, ma chérie. N'est-ce pas ? Va vite en profiter pour prendre ton café sur la terrasse. Moi, je finis cette vaisselle.
Cette femme n'est pas ma mère. En tout cas, rien à voir avec celle d'hier soir. Je rejoins mon père installé dans un énorme fauteuil en osier. Lui aussi a l'air d'excellente humeur, à en juger par son sifflement joyeux.
— Bonjour mon p'tit rayon de soleil !
— Salut « pa ».
Je tourne la tête vers la montagne. Cette vue est à couper le souffle. J'espère que mon paradis sera identique. S'il existe bien sûr. J'ai toujours préféré la montagne à la mer. Moins de foule... pas de sable qui se faufile partout même dans les endroits les plus incongrus... pas de voisin qui secoue sa serviette juste au moment où vous croquez dans votre beignet. Et le calme... les oiseaux qui chantent... cette petite brise qui ...
— Allez un, deux, trois... Bonzaï !
Un énorme jaser d'eau sort de la piscine. Rien d'étonnant ! Marc, mon frère, Tony et les jumeaux s'en donnent à cœur joie. J'ai comme l'impression que certains ont retrouvé leur âme d'enfant. Ils font plaisir à voir. Mon père en a même levé les yeux de son journal.
— Je savais qu'il fallait absolument une piscine dans cette villa.
— Sans aucun doute ! me répond-il tout en se replongeant dans sa lecture.
J'hésite un moment et me lance.
— Maman a l'air d'aller mieux qu'hier soir.
Il baisse son journal et me regarde en fronçant les sourcils.
— Ça me paraît évident ! En même temps, j'en connais la raison.
De nouveau, il se remet à lire. Je n'y crois pas ! Il va me laisser comme ça sans aucune information supplémentaire. Non mais je rêve !
— Et si tu pouvais me donner un indice, je t'en serais reconnaissante.
Sans un mot, il plie lentement son journal et le pose sur ses genoux. Je le soupçonne de prendre exagérément son temps. Enfin, il s'approche de moi et me chuchote.
— Je ne sais pas si je dois te mettre dans la confidence ma grande. Moins il y aura de témoins, mieux ça sera, me dit-il sur le ton de la conspiration.
— Papa ! Mais de quoi tu parles ?
Il regarde tout autour de lui comme s'il vérifiait que personne ne l'entende. Il se rapproche encore un peu plus, nerveux et tendu. Je pouvais sentir son souffle sur mon visage. Il me foutait carrément la trouille.
— Tu n'as pas vu ton oncle Éric et Sidonie ?
— Non pas encore. Pourquoi ?
— C'est normal.
— Pourquoi dis-tu ça ? Où sont-ils d'ailleurs ?
Il pose son bras sur mes épaules.
— Ça, c'est une excellente question !
Il tourne encore la tête plusieurs fois pour s'assurer je ne sais quoi.
— Ta mère et moi les avons traînés dans un petit refuge totalement isolé. Nous les avons renfermés et nous avons dit à tout le monde qu'ils étaient partis dans la nuit pour des raisons personnelles. Action... réaction !
Je ne bouge plus. Je ne respire plus. Même « la grosse Bertha » est en mode « off », les yeux sortis de leurs orbites.
C'est la fin des vacances ! Nous avons eu si peu de temps ensemble. Les flics vont débarquer... emmener mes parents au poste pour kidnapping et séquestration. Je me vois déjà au parloir, leur disant que je les aime malgré tout. Est-ce qu'on les laissera sortir pour mon enterrement ?
Ma mère s'installe près de nous.
— Kristelle ? Ça va, ma chérie ? Tu es blanche comme un linge !
J'entends mon cousin crier quelque chose mais mon cerveau est englué dans un profond brouillard. Juste quelques mots arrivent difficilement à le percer. « Hé papa ! », « balade », « déjà de retour », « et cette messe ? ».
Quand je tourne la tête vers la piscine, j'aperçois mon oncle, sa compagne Sidonie, Véro et Charles.
Sous le choc, je fixe mon père pendant que ma mère siffle entre ses dents...
— La revoilà celle-là.
Je relâche tout l'air que j'avais retenu dans mes poumons. Mon père me gratifie d'un clin d'œil et d'un sourire moqueur. Vic a raison. Je lis trop de roman policier et je suis prête à avaler n'importe quoi.
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Une année...le reste d'une vie
ChickLitKristelle voit son monde s'écrouler. Sans son autorisation, une tumeur s'est infiltrée dans son cerveau. Le verdict est sans appel. Il ne lui reste qu'une année à vivre. Sa première intention face à ce cataclysme est de ne rien divulguer à son ento...