Chapitre 8

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La nuit n'avait pas été terrible. Maux de tête... Nausées... Vomissements... Bref il était clair que je ne classerais pas cette nuit dans mon top dix. Il est déjà très tard dans la matinée quand je sors de mon lit et je rêve d'une bonne douche. Le miroir de ma salle de bain me renvoie une image désolante de mon corps. Ma réserve de graisse ne sera bientôt qu'un lointain souvenir. Je chasse cette idée d'un revers de main. Je pense à toutes ces femmes qui usent d'un millier de méthodes ou de soins à la mode pour perdre du poids.

Je scrute mon visage dans le miroir. Il est livide. Mes traits sont tirés et mes yeux cernés. J'observe alors au-delà de l'aspect physique. Je la regarde elle. La tumeur. Je la fixe. Je la contemple. Je l'étudie. Elle me voit elle aussi. Elle me nargue. Elle me défie. Elle est sûre d'elle. Confiante. Sournoise.

— Qu'est-ce que tu veux ? Pourquoi es-tu là ? Qu'attends-tu de moi ?

Je m'aperçois que je l'ai dit en criant. Bien sûr, elle ne me répond pas. Elle reste là, décidée à m'humilier, à m'envahir et me grignoter petit à petit. Sa cruauté n'a pas de limite et elle est déterminée à aller jusqu'au bout. Elle se sait puissante.

Je suis secouée de frissons. Je ne contrôle plus rien. Cette sensation qui me submerge m'en rappelle une autre. Elle n'est pas récente... de ça j'en suis sûre. Je ressens pourtant encore l'effet qu'elle avait sur moi. Je fais appel à mes souvenirs... mais rien. Le trou noir.

Je prends ma brosse à dents, applique mon dentifrice. Je frotte l'esprit ailleurs.

Et soudain je m'arrête.

Bien sûr ! « La grosse Bertha ».

Cette horrible bonne femme qui nous servait au réfectoire du lycée ! Je n'ai jamais rencontré de femme aussi effrayante. Elle passait son temps à nous crier dessus pour n'importe quelle raison. Son visage rond et difforme ne nous inspirait que méchanceté et sadisme. Elle nous détestait et elle prenait un immense plaisir à nous rabaisser sans hésitation. Tous les élèves l'avaient en horreur. Moi, elle me tétanisait.

Je me souviens d'une élève de seconde qui en avait payé le prix. Elle avait refusé le poisson servi ce jour-là, expliquant qu'elle en était allergique. L'aide-cuisinière ne l'avait pas cru une seule seconde et ne se privait pas pour le lui faire savoir tout en lui criant derrière son comptoir. « Pauvre fille », « espèce d'ingrate », « tu n'as que des mensonges qui sortent de ta bouche », « dégage de ma vue ».

Il y a eu également cette fois, où, elle avait volontairement fait un croche-patte à un malheureux élève qui avait déjà bien assez à faire avec sa réputation de premier de la classe. Il avait oublié sa carte de réfectoire. Elle l'a persécuté au moins pendant deux semaines pour ensuite passer à une autre victime. Nous tremblions tous en nous demandant quand viendrait notre tour. Nous nous amusions à lui donner des surnoms les plus inventifs. Pourtant, aucun ne lui arrivait à la cheville. C'est en cours d'histoire que tout avait basculé quand nous avons fait connaissance de « la grosse Bertha », une énorme pièce d'artillerie de siège utilisée par l'armée allemande lors de la Première Guerre mondiale. Il s'agissait d'un obusier de 420 mm de diamètre et de 16 calibres de long. Cet engin de guerre était redouté et redoutable. Pas de doute ! La ressemblance était frappante. Nous avons voté à l'unanimité. Cette horrible mégère avait enfin un pseudonyme digne d'elle. Le réfectoire s'est alors transformé en champ de bataille. C'était peu dire. Les imitations de canon, de bombardements fusaient dans la salle. Elle criait pour nous demander le silence mais sans comprendre, bien sûr, notre réelle motivation.

C'était décidé. Cette tumeur... Ma tumeur serait donc « Bertha ».

Je n'étais pas peu fière de ma trouvaille. Il fallait que je le lui apprenne de suite. J'ai donc fixé mon reflet dans le miroir et lui ai fait part de la grande nouvelle avec tout l'aplomb nécessaire.

Une année...le reste d'une vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant