Chapitre 23

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    Mon frère nage en plein bonheur. Julie est devenue sa priorité. Telle une reine égyptienne, elle trône sur une chaise longue. Il ne lui manquait plus qu'une clochette pour obtenir tout ce qu'elle désire. Romain s'active dans tous les sens. Rien n'est trop beau pour sa petite femme. Un coussin pour reposer sa nuque... une boisson fraîche... un massage pour soulager ses pieds. Je me sens tout à coup transportée dans un épisode de « madame est servie ». Pourtant, un détail manque.

Bon sang ! Anna !

Prise dans ce tourbillon d'évènement, je n'ai pas eu une seconde en tête à tête avec elle.

— Maman tu as vu Anna ?

Ma mère, concentrée sur une grille de mots fléchés, me répond.

— Non Ma chérie. Dis-moi ? Un synonyme de passion en cinq lettres ?

— « Folie » maman. C'est un mot que tu devrais pourtant connaître ! Surtout en ce moment.

Je ne lui laisse pas le temps de riposter. Je dois trouver Anna.

 Je progresse dans la villa, l'imaginant seule dans un coin isolé, ses écouteurs enfoncés dans les oreilles et le visage dévasté par les larmes. Une ado en pleine crise existentielle qui apprend qu'un bébé allait pointer le bout de son nez et chambouler tous ses repères habituels... lui voler sa place d'enfant unique. Comment je ne m'en étais pas inquiétée avant ? Ma petite Anna ! Ma petite fée ! Elle doit tous nous détester de l'abandonner ainsi.

J'explore une à une toutes les pièces de la villa. Malgré tout, elle est introuvable.

Soudainement, je m'arrête au milieu du couloir.

— C'est quoi ça ?

Un bruit sourd, ensuite des coups attirent mon attention. De la musique. Je lève la tête. Ça vient du grenier. C'est elle ! Aucun doute. Elle s'est réfugiée dans l'univers qu'elle maîtrise le mieux. En montant les escaliers, je cherche la meilleure approche pour lui parler. Lui dire que sa vie ne changera pas pour autant. Que nous allons être là pour elle aussi.

J'arrive devant la porte du grenier et ouvre sans frapper.

« Oh oh oh What Makes You Beautiful ! Oh oh oh What Makes You Beautiful ! »

Les quatre ados crient en cœur sur une musique déchaînée et se trémoussent à en perdre deux ou trois membres.

— Hé oh ! j'hurle en faisant de grands signes.

Louis est le seul à m'entendre et se précipite sur l'enceinte pour baisser le son. Les autres le sermonnent aussitôt, totalement agacés. Ce dernier leur fait signe de regarder derrière eux.

— Tata ! s'empresse de clamer Anna.

— Mais vous faites quoi ?

Ils me dévisagent tous comme si je débarquais d'une autre planète.

— Tatie ! Je sais bien que tout ça, ce n'est plus de ton âge...

Les ados et leur délicatesse...

— ANNA ! Je n'ai pas toujours eu cet âge-là ! Tu sais qu'avant d'être parents ou tantes, nous avons avant tout été des adolescents ?

— Peut-être... mais vous n'aviez pas les « one direction » ! Ça, ça se danse !

— Les quoi ? Bon OK ! Anna ? Je peux te parler s'il te plaît ?

Ma pauvre Anna ! Je voyais clair dans son jeu. Elle voulait nous faire croire qu'elle gérait, que tout était sous son contrôle... que les évènements ne l'atteignaient pas. Nous nous isolons sur le palier de l'escalier.

— Anna... Ma chérie... tu sais que je t'aime. Je veux que tu saches que l'arrivée de ce bébé ne changera rien. Je ne veux pas que tu te sentes exclue de...

— Tu imagines ! Je vais être grande sœur ! C'est chanmé quand même !

— Écoute Anna ! Tu ne peux pas parler la langue des adultes ? Car là franchement...

— Je veux dire que c'est carrément une bonne nouvelle !

Je vois. Elle est encore plus touchée que je ne le pensais. Son enthousiasme maîtrisé me brise littéralement le cœur.

— Ma puce ! Avec moi tu n'es pas obligée de faire semblant du genre les oiseaux chantent, le ciel est bleu et tout le tralala !

— Non mais je suis carrément sérieuse en plus ! Et le top du top, c'est que maman et papa vont me lâcher un peu. Préoccupés par le bébé,ils feront moins attention à moi. Liberté assurée. Non parce que tu sais... Je les aime bien hein... mais avoue que c'est trop quand même. Anna rentre à l'heure... Anna fait tes devoirs... Anna range ta chambre... Anna pose ton portable... Anna baisse ta musique, énumère-t-elle en roulant les yeux. Tu verrais maman ! Elle n'arrête pas de me dire que je serai toujours sa première petite perle et blablabla... C'est l'occas' rêvée pour demander la pilule et un nouveau portable. De toute façon, je la trouvais trop cheloue depuis quelque temps. Elle me regardait sans arrêt avec cet air de cocker qui a perdu son jouet préféré. Je comprends mieux maintenant !

Elle s'arrête et me scrute.

— Mais tu ne leur dis rien hein ?

Je crois que ma mâchoire va finir par se décrocher de stupéfaction. Les ados et leur capacité à tirer profit de toutes situations ! De redoutables manipulateurs.

Pour sa mère, elle n'avait pas tort. J'avais moi aussi pu observer l'attention qu'elle portait à sa fille. Malgré mes tentatives pour enfin comprendre, j'avais lamentablement échoué. Ma nièce semblait avoir plus de flair que moi.

— Anna Valet ! Tu es une diablesse ! je m'insurge, finalement soulagée.

— Tata ! Franchement... je peux te faire confiance n'est-ce pas ?

Elle scrute chaque parcelle de mon visage.

— Promis, je ne dirai rien.

Elle me saute au cou et m'embrasse bruyamment.

— Dis-moi ? T'as l'air de mieux t'entendre avec tes cousins ?

— Mais graaaaaave ! Les jumeaux, ils déchirent en fait. Bon... Louis est trop perché. Il nous sort sa science dès qu'il le peut. Une vraie tête d'ampoule celui-là ! Mais ça va. Il est cool quand même.

— C'est trop froid alors !

— Quoi ?

— C'est super ! C'est trop froid.

Ma nièce, hilare, se prend à présent pour une sauterelle.

— Tata ! On dit « c'est trop frais » pas « trop froid ».

Et bim ! Je ne l'avais pas vu venir celle-là. Ça m'apprendra à vouloir me la jouer « je suis une tata super branchée ».

— Bon OK ! Vas-y moque toi. À y réfléchir, je vais peut-être aller voir tes parents pour leur parler de tes plans !

Une expression de terreur l'envahit. À mon tour d'apprécier.

— Respire ! Je plaisante.

Je prends la direction de l'escalier triomphante.

— Tatie ? Il faudrait que je te parle d'un truc. Tu sais... enfin je...

— Tu voudrais changer de chambre et aller dormir avec les autres.

Elle m'observe en fronçant les sourcils, visiblement surprise. Au bout de quelques secondes, sa bouche s'entrouvre mais rien n'en sort.

— Oh ça va ! Ne te fatigue pas. Tu crois que je dormais avec ma tante à seize ans ?

— Mais je ne veux pas que tu le prennes mal, tu sais.

— Jevais survivre ma puce.

Une année...le reste d'une vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant