Une année...le reste d'une vie

Chapitre 29

   Je me lève avec une enclume logée dans le ventre. Plus jamais je n'accepterai regarder mes parents dans les yeux. Je suis presque soulagée de n'avoir que quelques mois à vivre. 

Quand nous avons regagné notre chambre, Romain n'a pas sorti une seule syllabe. Nous avons juste hoché la tête pour nous souhaiter bonne nuit. Des idées de fuite me reprennent à nouveau. Formidable ! Ce séjour m'en apprend bien plus sur moi-même que ces dernières années. Kristelle Valet, tu es une lâche. Mes yeux se posent sur mon maillot de bain, accroché à la poignée du placard.

— Désolée... mais pour toi les vacances s'arrête là.

Je ferai mes adieux à cette satanée piscine quand viendra son tour.

Je traverse la salle à manger en espérant éviter certaines personnes. Il suffisait de me faire discrète. J'envisageais même de déménager mes affaires dans la cave. Cette pièce m'avait portée chance et c'était justement ce qu'il me fallait. Une conversation attire mon attention.

— Elle arrive maintenant ? Enfin... tu veux dire aujourd'hui ?

— C'est ça. Tu as tout compris.

— Mais comment c'est possible ? Et qu'est-ce qu'on va lui dire ?

— Comment « tu » vas lui dire ?

— Alors là, tu rêves ! Je n'ai pas l'intention de m'en mêler ! De plus, ce sont vos histoires de famille.

— Quelle histoire de famille ? je demande, faisant sursauter les deux intéressés qui ne s'attendaient pas à me voir.

Marc reste figé complètement paralysé. De toute évidence, je ne tirerais rien de lui. Je me tourne alors vers Vic qui se mord l'intérieur de la joue ce qui, chez elle, est le signe manifeste de grand stress. Elle me cachait quelque chose.

— J'ai dit famille ? Quelle imbécile ! Je voulais plutôt dire « de fille » ! me répond-t-elle en m'empoignant le bras sur un ton faussement enjoué. Est-ce que ça te dirait de faire les boutiques aujourd'hui ?

Alors là, on avait un gros problème ! Vic déteste faire les boutiques. Son genre à elle, ce sont les longues balades dans la nature ou encore passer ses jours de repos dans les refuges pour animaux. Certainement pas pour s'extasier devant la dernière création de Thierry Mugler. Elle se précipite vers sa voiture pour pratiquement me jeter, sans ménagement, à l'intérieur. Manifestement, Vic cherche à m'éloigner de la villa. Peut-être pour une surprise ! Ou bien mon frère lui avait raconté notre lamentable gaffe de cette nuit et par compassion elle voulait m'éviter des heures d'humiliation et de honte. Après tout, quelle que soit la raison, elle me rendait un grand service. Je n'étais pas contre m'échapper quelques heures et je me réjouissais de les passer avec elle. La cave attendrait.

Malgré un ciel couvert, les températures demeurent agréable.

— Oh regarde Kris ! Un marché de créateurs ! s'extasie-t-elle soulagée par cette découverte qui lui évitait les boutiques de mode.

Pourtant habituée par son excentricité, là, ça frise le ridicule. Depuis le départ de la villa, elle n'en finit pas de jacter ne laissant aucun silence entre nous. Sa nervosité commence à me gagner et me fiche la trouille. Bon sang ! Elle sait tout ! Mais comment l'a-t-elle appris ?

Je la suis en essayant de garder le rythme. Elle est carrément dans son élément. Admirative devant les œuvres et ne manque pas d'échanger avec les artistes, me refoulant à la deuxième position. Elle gagne certainement du temps pour me parler ou plutôt pour me tuer dans un coin.

Un carillon attire soudain mon attention. Ce son est hypnotique et harmonieux. Malgré le brouhaha de la place, je n'entends que lui. D'où peut-il venir ? Je ferme les yeux et me laisse guider jusqu'à lui. Quand je le trouve enfin, je découvre une vieille dame assise sur une chaise en paille, devant une minuscule table, au fond d'une petite ruelle. Elle porte un foulard sur la tête et un autre sur ses épaules. Elle lève alors son visage vers moi et me sourit. Son visage ridé est doux et lumineux, mon regard attiré par le sien. Je n'avais jamais vu des yeux comme ceux-là auparavant d'un bleu profondément envoûtant, au couleur de l'océan. Cette petite femme dégage quelque chose de chaleureux et réconfortant.