Chapitre 26

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   Un peu plus d'une semaine que nous sommes dans la villa. Il faut que j'appelle ma cancérologue. J'y pense depuis deux ou trois jours reculant l'échéance au moindre prétexte. Trop tôt, trop tard... trop occupée... trop fatiguée... mais surtout, j'appréhende de briser cette bulle de sérénité auprès de ma famille. Je fixe mon portable. Je le supplie de ne pas m'avaler pour me transporter dans cet hôpital. Cet appel me contraint d'évoquer cette tumeur, de parler du traitement. Je le prends tous les jours. Je le sors de son emballage...  le gobe sans réfléchir. Ne surtout pas donner d'intérêt à ce geste. C'est plus facile comme ça. Avoir madame Mouffoir au téléphone, me replonge instantanément dans le drame de ma vie.

— Service oncologie bonjour !

Mon cœur se serre aussitôt. La nausée pointe le bout de son nez.

— Allo ! Oui... bonjour. Je voudrais parler à madame Mouffoir. Je suis Kristelle Valet, une de ses patientes.

— Ne quittez pas s'il vous plaît.

Elle me met une mélodie d'attente. Je reconnais aussitôt le prélude de Chopin. J'ai l'impression d'être transportée dans une chambre mortuaire. S'ils s'imaginent nous procurer un sentiment relaxant et apaisant, moi, ça me donne le cafard. Celui, ou celle, qui avait sélectionné cette mélodie avait forcément une idée en tête. Nous soumettre pour enfin accepter notre sort. C'était une évidence. Mieux encore, ils devaient laisser les patients en fin de vie les choisir. Succès garanti. Déprime assurée.

— Allo !

— Madame Mouffoir ?

— Kristelle ! Vous en avez mis du temps à me rappeler !

— Vous rappelez ?

— On ne vous a pas donné le message ?

Mais de quoi me parle-t-elle ? Je n'étais pas la seule à avoir besoin de vacances.

...

— Bref ! C'est sans importance. Comment allez-vous ?

Je lui explique les derniers jours. Les moments d'isolement quand ça devient trop compliqué. Je lui parle de ma vue qui devient encore de moins en moins claire... de mes maux de tête. De mes membres parfois engourdis... des nausées... de mon manque d'appétit... de mes siestes obligatoires pour pouvoir tenir un minimum. Cependant, je m'abstiens de parler de mes angoisses, même nocturnes. Je refuse de lui raconter ma terreur quand mes jambes sont à un tel point peu coopérantes que je dois pratiquement me traîner jusqu'à ma chambre. Je ne lui dis rien de mes sifflements auditifs qui me donnent envie de m'arracher la tête. Je ne lui parle pas non plus de mes migraines qui parfois me feraient perdre la raison. Je n'évoque pas les jours qui passent et qui me rapprochent de plus en plus de mon dernier voyage. Rien que le superflu. Je sais que je ne devrais pas lui mentir. Je n'en suis pas fière, croyez-moi ! Elle ne mérite pas ça. Ces quelques petits désagréments que je lui dépeins, n'en seront que des petits. Je garde le reste pour moi. Une manière de croire que tout est sous contrôle. Illusoire... peut-être... mais réconfortant malgré tout.

Mon récit semble  convaincant. Ou alors, nous sommes les actrices les plus douées pour jouer le rôle du faux semblant. Elle n'insiste pas. À mon grand soulagement.

— Très bien Kris. Et comment ça se passe avec votre famille ?

Je sais parfaitement à quoi elle fait allusion. Mais là aussi, j'ai les choses bien en main. Ou presque ! Non ! Pas du tout en fait.

— Ça progresse tout doucement.

Je me fais l'effet d'une architecte qui doit rendre des comptes à son client. Bravo ! De mieux en mieux.

— Je vois. Est-ce que vous avez besoin de quelque chose ?

— Une solution ou plutôt un miracle pour me sortir de ce merdier ? je lui assène violemment.

Et voilà ! C'est sorti tout seul. J'en ai la confirmation encore cette fois-ci. Cette tumeur a définitivement anéanti la partie du cerveau qui régule mes humeurs. C'est moche !

...

Je pense que ma cancérologue m'a raccrochée au nez. Comment lui en vouloir! Je vérifie mon écran de portable. Nous somme toujours en ligne.

— Je suis désolée.

— Ne vous excusez pas.

— Je n'ai pas à vous parler comme ça.

— Et vous, vous ne devriez pas subir tout ça.

Je me masse la tempe gauche. Cet excès de colère donne un prétexte à la « grosse Bertha » pour faire son apparition.

— Je dois vous laisser.

— Je compte sur vous pour m'appeler dans cinq jours, insiste-t-elle.

— OK. Je compte sur vous pour oublier mon emportement.

— C'est déjà oublié.

— Oh ! Docteur ?

— Oui ?

— Il y a bien une petite chose que vous pouvez faire pour moi et pour vos autres patients !La musique d'attente... la changer pour une plus joyeuse serait une bonne idée. Ou je crains que vos malades ne meurent de dépression et non de leur tumeur.


Une année...le reste d'une vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant