Chapitre 5

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Ce week-end a été un vrai cauchemar. J'ai commencé à tourner en rond d'une pièce à l'autre, traînant avec moi mes idées noires. Je pouvais passer de longues minutes à pleurer pour ensuite être envahie d'une colère incontrôlable. Pour ne pas devenir complètement folle, je m'occupais comme je le pouvais. Mon appartement s'est vite transformé en un vrai champ de bataille. Dans le salon, j'avais entrepris de faire un peu de repassage. Peine perdue. Pendant un accès de rage, je m'en suis prise à deux panières de linge. Elles avaient eu le malheur de se trouver sur mon passage. Le fer à repasser gisait sur le carrelage. Nous avions tous les deux eu un désaccord terrible. J'ai eu gain de cause. « Un » pour la cancéreuse, « zéro » pour le fer. La télévision braillait. J'avais eu l'idée, une heure plus tôt, de regarder un film d'action espérant que les images me feraient oublier celles que je n'arrivais pas à chasser de mon esprit. Avec tous ses placards ouverts, La cuisine semblait me crier de ne plus entrer. J'avais commencé à préparer des lasagnes et des cookies. Fiasco total. Maman... si ça fonctionnait pour toi, ce n'était pas mon cas. Et que dire de ma chambre ? Elle ressemblait à celle d'une adolescente en pleine rébellion. Le dressing était tout en dessus dessous. Les vêtements jonchaient le sol et les meubles. Mais rien d'étonnant. C'était, tout particulièrement, dans cette pièce que ma haine avait explosé.

À bout de force, assise là, sur le parquet de ma chambre, j'ai compris tout le sens de l'expression « toucher le fond ». J'ai donc décidé de végéter le reste du week-end, si je ne voulais pas détruire entièrement mon appartement.

Végéter...

Signification Végéter : en parlant d'une plante, croître et différencier des organes végétatifs mais sans former de fleur. Mais aussi, végéter : ne pas progresser, rester à un niveau médiocre, stagner.

Bon... Si je comprends bien, je suis en quelque sorte une plante qui ne produit pas de fleur, stagnant sur un niveau médiocre. Enfin, ce n'est peut-être pas tout à fait ça mais c'est le sentiment que j'en ai actuellement.

Quand je me lève le lundi matin, je pousse un cri d'horreur. Je venais d'être cambriolé ! Ça ne pouvait en être autrement aux vues des dégâts. Je suis prise d'une réelle panique en pensant à la tête que je devais avoir. Vic ! Vic vient ce soir. Je suis épuisée mais je n'ai pas le luxe de replonger dans les bras de Morphée ou bien ma stratégie allait tomber à l'eau. Si je ne fais pas très vite quelque chose, je l'entends déjà me menacer ; « Kristelle Valet ! Ne me force pas à te faire cracher les vers de tes petites narines ». Ma meilleure amie avait un réel problème avec les expressions connues. Elle aimait les reformuler à sa sauce, les jugeant trop fades.

Je m'active malgré un mal de tête qui me donnait envie de me jeter par la fenêtre. Il m'avait fallu près de six heures pour venir à bout de ce cataclysme. Rien que ça.

Quand je passe dans la salle de bain, qui par miracle, est la seule pièce intacte de l'appartement, ce n'est pas un cri que je sors mais un râle de bête enragée. Comment j'allais m'y prendre avec ce visage de papier mâché et ce trou béant dans ma tignasse ?

Je commence à voir se pointer les premières larmes de la journée.

Ah non ! Pas le temps ma vieille. T'as du boulot.

Je saute dans la douche et me frictionne comme une dingue. Avec un peu de chance, cette terreur et cette tristesse qui me collent à la peau vont disparaître dans la tuyauterie. Et si je frotte encore un peu plus, peut-être que cette maudite tumeur va foutre le camp à son tour.

18 h 30.

Vic sera là dans une demi-heure.

Préparation mentale : garder le sourire... être naturelle... anticiper ses questions... être parée à toutes éventualités.

Ne pas craquer... Ne pas pleurer.

19 heures.

Elle me saute dans les bras. C'est tellement bon de la sentir près de moi, mais douloureux à la fois.

— C'est quoi cette coiffure ?

— Tu n'aimes pas ? Je lui dis en remettant nerveusement le foulard en place.

— Si ! me répond-elle suspicieuse. Ça change. C'est tout.

Je fais la moue pour la forme.

— Tant que tu ne te mets pas un serre-tête sur le crâne... moi ça me va.

Je souris. C'est vrai ! J'avais oublié ça. Vic a horreur de ces trucs. Les serre-têtes... Sa mère avait pour habitude de lui en coller un tous les matins avant d'aller à l'école et ça reste encore chez elle un traumatisme épouvantable.

— J'ai passé l'âge non ? Et franchement, il n'y a qu'à toi que ça allait.

Elle se place face à moi et lève son index, se voulant menaçante.

— Ne me provoque pas ! Allez hop ! Les pizzas de chez Alfonso nous attendent. Une viande hachée pour toi, comme tu aimes et moi la végétarienne. Allez tueuse d'animaux ! À table ! Et franchement, ça ne te fera pas de mal. Punaise ! La vache ! Elle t'a foutu en l'air cette grippe ! T'as perdu au moins 4 à 5 kilos ma parole !

Ouf ! Elle ne parle pas de ma mine désastreuse. Il faut croire que mon camouflage fait son effet. Je remercie secrètement toutes ces personnes qui travaillent dans le cosmétique et les tutos sur le net. Je pense que je n'ai pas fini de les bénir les prochains mois à venir.

Cette soirée ressemble, contre toute attente, à toutes celles que nous avons passées ensemble. Rires... aux larmes surtout. Vic n'a pas son pareil pour narrer ses aventures. Elle ne mentait pas quand elle me disait, il y a quatre jours, qu'elle avait une foule de choses à me dire. Il faut dire qu'elle avait, sans cesse, la manie de se fourrer dans des situations complètement loufoques. C'est sans conteste ce que j'aimais le plus chez elle. Même si parfois j'explosais en la gratifiant d'un : « Vic... Non ! T'es pas sérieuse ? Tu n'as pas pu faire ça ! ». Je prenais toujours un air outré et choqué mais au fond de moi j'enviais son naturel et sa spontanéité. J'avais toujours le droit à sa réplique favorite pour se défendre : « c'est toujours pareil avec toi ! Enlève-moi cette peau de prude effarouchée ! ».

— Tu reprends le boulot quand ?

— Demain.

— Sapristi ! Il est minuit. Allez la belle au bois dormant. Au lit ! La reprise va piquer. Quelle heure ?

— Dix heures.

— Dix heures ?

Quelle gourde ! Je n'ai pas réfléchi en le disant. Je n'embauche jamais à cette heure-là et elle connaît mes horaires sur le bout des doigts. En fait, c'était l'heure de mon rendez-vous au service oncologie.

— Ça devait être quatorze heures mais ma responsable nous a collé une réunion à dix heures demain matin.

— Ah ! C'est moche.

Elle se lève et prend la direction de la porte d'entrée pas sans m'embrasser. Elle me serre dans ses bras où j'aimerais encore une fois m'attarder. Elle sort en me demandant de lui envoyer un message quand j'aurais fini ma journée. Je lui promets de le faire quand elle descend les marches en m'envoyant des baisers sur le bout des doigts, digne d'une star de télé.

Je ne sais pas combien de temps je suis restée sur le seuil de ma porte, les yeux fixés sur son dernier virage. Je voulais graver cet instant dans ma mémoire, savourant sa légèreté, sa simplicité et son insouciance.

Une année...le reste d'une vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant