Chapitre 4

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Je suis rentrée la veille et n'ai toujours pas allumé mon portable. J'étais consciente que mon silence allait avoir de lourdes conséquences. J'étais en général joignable à tout moment et pas une journée ne passait sans un appel ou un message de mes parents ou de Vic.

L'échange avec ma cancérologue plane sans arrêt au-dessus de ma tête. « Réfléchissez à propos d'être accompagnée ». J'ai l'impression de ramener avec moi une épreuve de philosophie : « pourquoi la solitude n'est-elle pas la solution quand tout va mal » ? Si elle croyait que c'était facile !

Comment expliquer à mon entourage alors que moi-même j'évoluais dans le flou le plus total ?

J'ai toujours mis un point d'honneur à me sortir seule de mes ennuis. Un autre trait de ma personnalité. Toujours une solution à tout et jusqu'à maintenant ça marchait plutôt bien. Mais là, c'était carrément le ciel qui me tombait sur la tête. Bon... concentrons-nous... et si je prenais cette situation comme toutes les autres ? Qu'est-ce que la Kristelle pleine de vie, joyeuse, réfléchie, indépendante, volontaire, ferait ? En même temps, il ne s'agissait pas d'un problème mécanique sur ma voiture ou une poignée cassée dans mon appartement.

Sacre bleu ! Elle n'en sait rien. Je vais lui laisser encore un peu de temps.

C'est parti ! J'allume ce maudit portable. Quatre jours que je n'ai pas donné signe de vie. Connaissant mon père et ma meilleure amie, j'allais voir débouler dans quelques minutes les pompiers, le SAMU, le GIGN, un détective privé et je ne sais quoi encore.

L'appareil se déchaîne dans ma main. C'était prévisible... cinquante-sept appels manqués. Vingt-trois messages de mon père. Les quatre derniers sont poignants de désespoir. Je le sens même au bord de la crise cardiaque.

Les autres messages sont de « VIC ». Mon âme sœur, ma confidente, mon souffre-douleur. Tout un programme en somme. Nos chemins s'étaient croisés au cours de notre sixième année. Ça n'avait pas été le coup de foudre. C'est le moins qu'on puisse dire. C'était le jour de la rentrée, en première année de cours préparatoire. Nous venions tout juste de nous installer à nos pupitres individuels quand la maîtresse entreprit de faire l'appel. En entendant pour la première fois le prénom de celle qui allait devenir ma meilleure amie, tout mon corps s'était mis à me trahir m'emportant dans une déferlante de rires et de cris incontrôlables. VICTOIRE ! Je n'avais rien entendu de plus drôle. Tout un tas d'hypothèse avait soudain envahi mon jeune cerveau bouillonnant. Sa mère, l'ayant mise au monde dans d'atroces douleurs, avait décrété que ce prénom lui irait à merveille. J'imaginais aussi son père en joueur de foot professionnel conditionné pour la réussite. Bref, quoi qu'il en soit, il y avait forcément une explication et j'avais bien l'intention de percer ce mystère. Cependant, ma perte de contrôle fut sans appel puisque l'institutrice m'informa que je serais privée de récréation de dix heures ce qui n'allait pas faire avancer mon enquête. Si Victoire était restée de marbre pendant ce déchaînement malheureux, ce ne fut pas le cas au repas du midi. Dès que je mis un pied hors de notre classe, elle me cramponna pour me conduire dans un coin discret de la cour et m'administra une dérouillée mémorable. Bon OK ! Je ne l'avais pas volée. Le lendemain, elle s'approcha de moi, me tendit un paquet de Smarties et me dit d'une voix ferme et autoritaire : « Ma maman m'a dit qu'il faut que je te pardonne. Que c'est pas ta faute et que tu es un peu bête. Elle a dit aussi que tu voulais peut-être pas te moquer et qu'il faut que je te raconte pourquoi je m'appelle Victoire ».

Elle me parla d'un film que sa mère affectionnait par-dessus tout. Le titre de celui-ci déclencha chez Vic une mise en scène toute particulière. Dressée sur la pointe des pieds, elle ouvrit ses bras autant qu'elle le pouvait, en imitant le bruit d'une détonation. « La boum ». Il évoquait la vie d'une jeune adolescente nommée Victoire et de ses péripéties.

Une année...le reste d'une vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant